Conseil régional de Bretagne / Kuzul-rannvro Breizh. Séance de janvier 2010
Débat de politique générale
Monsieur le Président,
Chers collègues,
Nous sommes tous bouleversés par la nouvelle catastrophe qui vient d'endeuiller Haïti. Les liens entre ce pays et la Bretagne sont anciens et profonds. La Région elle-même a fait de Haïti un des 5 pays prioritaires de sa politique de solidarité internationale. Notre effort de solidarité face à cette nouvelle épreuve doit être à la hauteur de cette implication.
Notre groupe s'associe aux hommages à Yves Rocher. Il siégea dans notre assemblée. Il fut un pionnier dans la cosmétique naturelle et son attachement à La Gacillly et à la Bretagne le situait à l'opposé des stratégies opportunistes des administrateurs de multinationales qui déménagent les sièges sociaux et les unités de production au gré de leurs intérêts particuliers.
Nous voulons aussi rendre hommage à Bernard Le Nail. Sa passion pour la Bretagne l'a conduit à mettre son énergie et ses compétences au service de l'économie, à la CCI de Nantes, puis au service de l'action régionale au CELIB et de la promotion de l'identité bretonne, d'abord comme directeur de l'Institut culturel de Bretagne durant 17 ans puis comme éditeur et auteur. C'est un acteur majeur du réveil de la conscience bretonne qui vient de nous quitter.
Cette dernière séance plénière de notre mandat se prête aux bilans. Elle fournit aussi l'occasion de tracer des perspectives. J'irai droit au but : notre collectivité n'a pas les moyens de ses prétentions.
La Bretagne a de fortes ambitions pour elle-même et pour sa contribution à la construction de l'Europe ainsi qu'au rapprochement entre les peuples de la planète. Je crois que cette haute idée de la Bretagne est partagée sur l'ensemble des bancs de cette assemblée, au-delà des divergences et des oppositions.
Hélas la Région Bretagne demeure une collectivité mineure dont les moyens politiques et budgétaires sont à des années-lumière de ce qu'ils devraient être pour satisfaire les attentes et les besoins du peuple breton. Il nous manque toujours la Loire-Atlantique, le quart de notre population, le tiers de notre économie, notre seul grand port à vocation internationale qui, privé d'un partenariat actif avec Brest, Saint-Malo et Lorient, risque d'être le grand perdant du projet de « Grand Paris » par lequel les ports du Havre et de Rouen vont se trouver dopés. Nous nous sommes efforcés de soigner cette fracture territoriale, monsieur le Président, en construisant pas à pas des coopérations concrètes avec le Conseil général de Loire-Atlantique. Nous avons obtenu des résultats mais force est de constater que le projet de réforme territoriale du président Sarkozy, sur lequel je reviendrai dans quelques instants, exclut de facto la possibilité de fusionner sur la base du volontariat une région et un département qui en a été exclu par les aléas d'une histoire dont aucun républicain ne peut se montrer fier. Et si nous en sommes là, c'est parce que de grands notables jaloux de leurs prérogatives, à droite comme à gauche, ont fait barrage.
La faiblesse de notre collectivité s'exprime aussi au plan budgétaire. Nous sommes de toutes les régions françaises celle qui dispose du budget par habitant le plus faible. Pour nous situer dans la moyenne des régions il nous faudrait chaque année 60 € de plus par habitant. Mais une région comme Rhône Alpes dispose de 250 € de plus que la Région Bretagne, presque le double de notre budget par habitant. Nous connaissons les raisons de notre faiblesse budgétaire : notre potentiel fiscal est parmi les plus faibles, en raison notamment d'un petit nombre de sièges sociaux de grandes entreprises, en raison aussi des exemptions fiscales qui s'appliquent au secteur primaire et à la défense, fortement présents sur notre territoire ; mais pour autant ce faible potentiel fiscal n'est pas compensé au niveau de la répartition des dotations de l'État aux collectivités.
60 € par habitant et par an, présenté comme ça, ça n'évoque pas forcément grand chose. Mais si je dis que le déficit de recettes pour notre collectivité sur la durée du mandat, environ 1,2 milliard €, représente près de deux fois le montant de l'engagement de la Région dans la réalisation du projet Bretagne Grande Vitesse, qui va lourdement contraindre notre capacité d'investissement au cours des cinq prochaines années, alors on comprend combien cette situation de déclassé nous prive des moyens d'investir dans l'économie du futur.
La Bretagne, modèle d'une économie décarbonée ? Oui, ce serait formidable, oui c'est indispensable si nous voulons éviter la régression sociale... mais avec quels moyens ?
La Bretagne est maltraitée par la République. Il nous faut, collectivement, exiger que la Région Bretagne soit traitée de façon juste, de façon équitable.
Dans l'immédiat allons-nous vers du mieux ? Hélas non, puisque l'autonomie fiscale des régions va être réduite comme peau de chagrin et remplacée, dans des proportions très incertaines, par des dotations de l'État. Je citerai le député-maire de Vannes, François Goulard, pour qui le projet de réforme territoriale signifie, je le cite, « une perte d'autonomie financière et fiscale pour les régions et les départements».
Nous sommes donc en France la Région la moins bien servie, et cela même alors que la France est un des États d'Europe où la régionalisation est la plus timide. Les Régions n'y maîtrisent qu'un peu plus de 3 % du total des dépenses publiques (hors sécurité sociale) quand l'État en maîtrise 55 %. Le budget du Pays de Galles (3 millions d'habitants), auquel vous vous êtes souvent référé, monsieur le Président, est de 20 milliards €, celui de la Région Bretagne, pour une population équivalente (sans la Loire-Atlantique), ne dépasse qu'à peine 1 milliard €. Le budget de l'Écosse est de 32 milliards €.
La conférence de Copenhague sur le changement climatique a été un échec car les attentes des peuples se sont fracassées contre les égoïsmes des États. Mais Copenhague aura au moins servi à révéler l'ampleur de la mobilisation citoyenne et l'implication concrète des collectivités. Nous constatons que seuls trois territoires au monde ont pris des engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre sur la période 1990-2020 qui correspondent aux attentes des pays pauvres et des ONG, à savoir une réduction de 40 % minimum. Ce sont la Norvège (- 40 %), le Pays de Galles (- 40 % également) et l'Écosse (- 42 %). Un État, deux régions, mais pas n'importe quelles régions, deux régions dotées d'un pouvoir législatif et réglementaire, notamment dans les champs de l'économie, des transports, de la formation et de l'environnement, et dotées aussi d'une capacité de financement autrement plus importante que la nôtre. Ces régions s'engagent fortement car elles savent disposer des moyens de réaliser leurs ambitions.
L'incapacité de la Région Bretagne à concrétiser les siennes dans de trop nombreux domaines est-elle une fatalité ? Nous ne le pensons pas. De la même façon que les acteurs du CELIB ont ouvert dès les années cinquante la voie de la régionalisation en France, une régionalisation dont on mesure chaque jour combien elle reste inaboutie, nous sommes convaincus que les Bretons des années 2010 peuvent tracer le chemin de l'autonomie régionale et du fédéralisme solidaire. Nous avons besoin en France de cette VIe République, fédérale, écologique et sociale pour relever les défis du dérèglement climatique et de l'économie décarbonée, l'économie qui créera des emplois durables car non délocalisables. Si les élus bretons, si les forces économiques et sociales ne se mobilisent pas pour obtenir cette mutation régionale, alors les ambitions que les partis politiques affichent dans leurs projets électoraux resteront des voeux pieux et les désillusions qui s'en suivront déboucheront inévitablement sur un rejet des institutions.
Je voudrais conclure en citant le CESR de Bretagne. Nos collègues de la seconde assemblée régionale ont publié en octobre dernier une étude qui fera date. Elle est intitulée « Pouvoirs et démocratie à l'épreuve du changement climatique à l'horizon 2030 ». Les membres du CESR ont élaboré quatre scénarios d'évolution dans l'appropriation du changement climatique par les acteurs publics ou au contraire leur renoncement face aux forces du marché, et ce du niveau local au niveau global. Un de ces quatre scénarios a leur préférence, ils l'ont intitulé « Ensemble contre vents et marées ». Voici ce qu'il impliquerait en terme de pouvoirs régionaux, je cite (page 162 du rapport):
« La Région a obtenu un droit à légiférer qui lui permet de régler les problèmes se posant à l'échelle de l'espace régional (...)».
« La Région a également obtenu la compétence de la gestion de l'eau, après l'avoir réclamée pendant très longtemps ».
« Dans les années 2010, la Région a piloté l'élaboration du Schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie, qui définit les objectifs régionaux en matière d'énergie et de pollution atmosphérique et qui comprend également un volet adaptation aux conséquences du changement climatique (...) ».
« Alors qu'il y avait au début du siècle une remise en cause de leur existence, en 2030 les pays et leurs conseils de développement sont des relais de la démocratie participative plus vivants que jamais en Bretagne. Ils participent des processus de concertation et de la diffusion de la connaissance auprès de la population ».
« Dans ces conditions, l'Établissement public foncier régional s'avère être un outil de gouvernance territoriale particulièrement important ».
Et le CESR de conclure (pages 159 et 160): « En 2030, la décentralisation est aboutie (…) les Régions peuvent désormais définir elles-mêmes l'agencement interne de l'espace régional. Les collectivités territoriales ont gagné un pouvoir normatif . Elles ont désormais la maîtrise de ressources significatives, l'État n'ayant conservé qu'une fonction de péréquation. Au final, l'action publique a regagné en légitimité et repris toute sa place par rapport aux régulations marchandes ».
Ce scénario du souhaitable doit devenir le scénario du possible. Ceux qui aspirent à devenir les élus du suffrage universel dans quelques semaines n'ont pas le droit de se montrer moins hardis, moins inventifs, moins conquérants que les représentants de la société civile.