Pourquoi célébrer Bécassine ?
L’article de Bruno Calvès dans le numéro 298 de L’histoire nous présente Bécassine comme un personnage sympathique faisant partie de notre patrimoine, symbolisant notre histoire de France, presque une mascotte… Permettez-moi de mettre un bémol à cette vision quelque peu idyllique de ce personnage caricatural, dont la vision est totalement différente en Bretagne. Bécassine est en effet le porte-drapeau de ces Bretonnes immigrées à Paris à cause de la misère. Ces bretonnes rencontrent d’importants problèmes d’intégration dans la capitale car elles ne parlent que breton et souffrent d’un complexe d’infériorité. Ce complexe vient du fait que la République ne reconnaît pas la diversité linguistique et qu’elle a décidé d’éradiquer les langues régionales de l’hexagone. Pour cela Le ministère de l’Instruction Publique a mis en place un formidable outil à son service : l’école obligatoire dans laquelle les hussards noirs de la République vont interdire l’usage de la langue bretonne(et des autres langues régionales) en utilisant la honte. Honte à celui qui sera pris à parler breton, il portera le symbole(sabot de bois ou bonnet d’âne). Les servantes bretonnes et la population bretonne ont souffert dans leur globalité de cette politique linguistique française entamée sous la IIIè République et poursuivie sous la IVème et Vème République. Le personnage de Bécassine n’a pas de bouche, en effet il ne parle pas français ! Bécassine est la risée de la bourgeoisie parisienne des années 1900, qui souvent exploite ses servantes, corvéables à merci et dont les conditions de travail et de vie sont souvent très difficiles. Alors doit-on célébrer ce personnage qui reflète une vision coloniale de la France du début du XXème siècle ? Je me pose souvent la question de savoir, si un personnage comme Bécassine était remis au goût du jour sous les traits d’une immigrée d’aujourd’hui qui rencontre les mêmes problèmes que la servante bretonne, quelles seraient les réactions d’aujourd’hui ? A coup sur nous aurions de virulentes réactions des associations anti-racistes et cela se terminerait au tribunal. Ce serait d’ailleurs totalement justifié, car les difficultés d’intégration méritent d’autres attitudes que la risée et la caricature ! Les immigrés d’hier(des régions françaises) méritent tout autant le respect que les immigrés d’aujourd’hui.
Pierre-Yves Moal 29400 Locmélar