Motion du congrès de Régions et peuples solidaires Mouans Sartoux 2010
Construits dans les années 50 à 70 pour répondre à la demande massive de logements, les grands ensembles urbains ont, à l'époque, amélioré de manière très significative les conditions d'habitat des citoyens. Certaines de ces cités, comme la Villeneuve de Grenoble, ont été pensées comme des modèles du « bien vivre ensemble », alliant qualité urbanistique, mixité sociale et convivialité.
A partir des années 1980, ces cités se sont progressivement vidées de leurs habitants les plus aisés (professions libérales, cadres, enseignants…), partis pour devenir propriétaires de leur habitation ailleurs, alors que le chômage et la précarité enfermaient les catégories de population les plus fragiles dans ces quartiers périphériques devenus un piège pour elles. De plus, les habitants qui partent sont remplacés par d'autres mais qui appartiennent en grande partie au bas de l'échelle sociale. La cité, à l'origine « radieuse », dynamique et ouverte, se paupérise et finit en ghetto social concentrant des populations qui cumulent les difficultés économiques et sociales : « échec scolaire, chômage, assignation à résidence, discriminations sociales et culturelles, racisme, marginalisation politique » . Dans la plupart de ces cités de banlieue, la ségrégation sociale prend de plus en plus des allures de ségrégation « ethnique » puisque les Africains par exemple (dont majoritairement les Nord-Africains), ont « trois fois plus de risques de s'installer dans les quartiers les plus précarisés par rapport aux Français » . Le rejet suscitant le rejet, les jeunes (notamment les plus exclus) des quartiers marginalisés adoptent le principe de « la France ne veut pas de nous, qu'à cela ne tienne, nous non plus, nous ne voulons pas d'elle ». La police qui représente à leurs yeux l'Etat français, est alors mal venue dans ces quartiers, ce qui laisse la place à ce que certains qualifient de « zones de non droit ». C'est un contexte qui a incontestablement favorisé le communautarisme, en particulier islamique à partir des années 1980 et les activités illicites, notamment le trafic de stupéfiants. Cependant, de nombreuses personnes, associations et groupes sociaux militants, tentent par leur présence sur le terrain et leurs activités socioculturelles, de défendre et de porter le projet social originel des cités.
La délinquance et l'insécurité qui règnent dans les quartiers défavorisés sont donc d'abord le fait de la désertion de l'Etat avec tout ce qu'il compte de pouvoirs publics centraux et locaux qui ont abandonné ici les valeurs fondamentales telles que le traitement égalitaire des citoyens, la laïcité et l'obligation de respect des droits mais aussi des devoirs pour tous. A cela s'ajoute la délitescence générale des repères structurants que ne donnent plus l'École, la famille, le travail et les institutions publiques. C'est notamment le cas lorsque les gouvernements sont régulièrement secoués par les « affaires », lorsque la délinquance financière reste impunie, lorsque l'autorité des parents et celle de l'enseignant sont battues en brèche, lorsque le pouvoir de l'argent et de la publicité domine la société et que c'est le Loto ou les trafics en tout genre qui servent d'ascenseur social. L'imaginaire social est dans la confusion, on ne sait plus ce qu'est la République, ni ce qu'elle attend du citoyen, ce qui rend possible et explique toutes les dérives.
L'insécurité et les incivilités, ce sont d'abord les citoyens les plus économiquement faibles qui en sont les victimes. Ce sont donc eux qui ont le plus grand besoin de sûreté. Celle-ci étant un droit constitutionnel, la puissance publique, donc l'Etat et les collectivités territoriales, a pour obligation de mobiliser tous les moyens afin d'assurer la tranquillité de tous et dans tous les territoires de la République.
Or, au lieu de s'atteler avec courage et vigueur à cette lourde tâche, les plus hauts responsables de l'Etat réduisent les services publics et s'adonnent à la démagogie et à la surenchère verbale.
Le 30 juillet dernier à Grenoble, à l'occasion de l'installation du nouveau Préfet de l'Isère, M. Sarkozy n'a pas trouvé mieux que de proposer de retirer la nationalité française pour "toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un policier, d'un gendarme ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique". Le chef de l'Etat crée ainsi une nouvelle catégorie de Français, ceux qui sont d'origine étrangère, qu'il souhaite traiter de manière discriminatoire. Or cette disposition est contraire à la Constitution du pays qui stipule dans son article 1 que la France est une République qui « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Ainsi, le premier magistrat du pays, dont la fonction première est de veiller au « respect de la Constitution » (article 5), est le premier à la violer. De plus, la proposition de M. Sarkozy est raciste, stigmatisante et conforte les préjugés raciaux et les sentiments xénophobes. Elle attise les haines et sème la division et le désordre. Elle est donc porteuse de graves dangers qui portent atteinte à la cohésion sociale et nationale.
Allant dans le même sens que le chef de l'Etat, Christian Estrosi, ministre de l'industrie a déclaré publiquement sur les ondes de la radio Europe 1 le 9 août 2010 : « Français ou voyou, il faut choisir », suggérant ainsi qu'un Français ne peut pas être délinquant et que le « voyou » est nécessairement étranger ou « français d'origine étrangère ».
Outre leur caractère outrageant, les propos de M. Estrosi sont également assimilables à du racisme, en violation de la législation nationale (lois contre le racisme) et des conventions internationales adoptées par la France, notamment la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Les dérives du gouvernement français ont d'ailleurs été condamnées par la justice (Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur condamné pour injure raciale en juin 2010) et par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) qui note dans son rapport publié le 15 juin 2010 que « plusieurs propos tenus notamment sur les questions d'immigration et d'intégration par des responsables politiques, y compris par des élus et des membres du gouvernement, ont été ressentis comme encourageant l'expression du racisme et particulièrement de xénophobie ».
L'expulsion brutale de centaines de Roms, citoyens européens, est également tout aussi raciste, inhumaine et illégale. Dans son rapport au CERD publié en août 2010, la Ligue des droits de l'homme observe que « le rejet dont fait l'objet la population Rom en France est très forte et se manifeste régulièrement ». La LDH précise qu'il existe « une véritable focalisation des pouvoirs publics à leur encontre ».
Face à cette situation il est urgent de réagir pour mettre un terme à cette politique gouvernementale qui viole les lois et menace les valeurs fondamentales de la République. Notre réaction doit être à la hauteur des enjeux et des provocations de M. Sarkozy et de ses ministres.
La fédération Régions et Peuples Solidaires, de par sa nature et son projet, reconnaît la diversité intrinsèque de la société française réelle du 21e siècle, avec des territoires et des peuples (y compris ceux issus des migrations) aux identités collectives spécifiques et évolutives. Ces identités sont toutes respectables dès lors qu'elles respectent les droits fondamentaux de la personne, homme ou femme. A cet égard la France plurielle de 2010 est à l'image de l'Europe, laquelle ne saurait se construire en stigmatisant telle ou telle de ses composantes.
C'est pourquoi la fédération R&PS, en tant que rassemblement de démocrates et d'humanistes viscéralement attachés à l'état de droit, rejette radicalement le populisme pénal sarkozyen et notamment :
- La notion de « dangerosité », arbitraire, contraire à l'état de droit et potentiellement raciste, radicalement différente de celle de culpabilité
- Le fait que les personnes en rétention ; du seul fait qu'elles soient sans papier ; disposent de moins de droit que les personnes en détention
- appelle ses adhérents et tous les citoyens attachés aux droits fondamentaux de la personne à participer aux actions démocratiques contre la politique xénophobe de Monsieur Sarkozy et son gouvernement, en particulier lors de la journée de mobilisation du 4 septembre qui doit se traduire par des manifestations dans toutes les Régions,
- entend étudier avec les associations compétentes la possibilité de prolonger cette mobilisation devant les tribunaux nationaux et internationaux,
- appelle de ses voeux au plan français et défendra dans les collectivités où elle est représentée une nouvelle politique d'urbanisme qui favorise la mixité sociale et d'une façon plus générale une politique qui s'attaque aux facteurs de ségrégation et de ghettoïsation, notamment dans l'accès à l'éducation, à la formation professionnelle et à l'emploi.