
35e jubilé du Festival Jazz à l'Ouest
La 35e édition du jubilé du festival Jazz à l’Ouest vient de se terminer. On a eu beaucoup de bonnes surprises de la scène locale et étrangère, des émotions pures qui ne nous quitteront pas pendant longtemps. On a pu entendre un grande nombre de femmes, l’ambition du festival était de faire un festival dans le parité hommes femmes. On a pu entendre une des plus grandes pianistes de jazz de notre époque qui est venue spécialement pour le festival.
Le samedi 8 novembre 2025, la MJC Bréquigny a vibré au rythme d’un jazz ardent et lumineux. Pour sa 35ᵉ édition, le festival Jazz à l’Ouest accueillait un événement rare : la pianiste, compositrice et cheffe de big band danoise Kathrine Windfeld, invitée à diriger le West Jazz Orchestra pour un concert hors norme. Cette rencontre entre une figure majeure du jazz européen et l’un des grands ensembles rennais a offert au public une soirée d’une intensité remarquable. Dès les premières mesures, on sent chez Kathrine Windfeld cette autorité musicale douce mais précise, cette manière de sculpter le son d’un orchestre sans jamais écraser les musiciens.
Ses compositions, souvent décrites comme un équilibre subtil entre modernité, groove et harmonies sophistiquées, ont trouvé dans le West Jazz Orchestra un écrin de choix. Les cuivres, tantôt éclatants, tantôt feutrés, ont porté les lignes mélodiques avec une énergie contagieuse, tandis que la section rythmique instaurait un souffle continu qui relevait chaque nuance.
Le public est rapidement entré dans ce voyage sonore où la puissance du big band s’alliait à la finesse d’écriture de Windfeld. Certains morceaux, aux orchestrations foisonnantes, évoquaient des paysages urbains en mouvement permanent ; d’autres, plus introspectifs, laissaient surgir des couleurs presque cinématographiques. Au centre de ce tourbillon, le piano de Windfeld apparaissait par touches – clair, incisif, limpide – comme un fil conducteur qui reliait l’ensemble. Dans la salle comble, l’émotion collective était palpable.
Les spectateurs, qu’ils soient fidèles du festival ou simples curieux, ont salué une performance généreuse, exigeante et accessible à la fois. Quand les dernières notes se sont dissipées, une ovation nourrie a souligné l’impact de cette rencontre entre deux mondes : celui d’une compositrice au langage musical vif et singulier, et celui d’un big band rennais à l’énergie irrésistible. Avec ce concert, Jazz à l’Ouest 2025 a une nouvelle fois démontré sa capacité à créer des moments uniques, à la croisée des territoires artistiques et des générations.
Et pour beaucoup, la soirée Kathrine Windfeld & West Jazz Orchestra restera comme l’un des temps forts de cette édition anniversaire.
D’autres concerts avec des artistes féminines nous ont laissé des souvenirs intenses, notamment la soirée du groupe Sėlēnę et de Sélène Saint-Aimé. La violoncelliste Mélanie Badel, accompagnée de son groupe, a créé une première partie très énergique. Leur spécialité consiste à mêler la sensibilité du violoncelle à des notes puissantes. Une expérience très prometteuse pour l’avenir de ce sympathique trio.
Le concert de Sélène Saint-Aimé a offert un moment de rare intensité, à la croisée de la poésie, de l’improvisation et des racines caribéennes. Entourée du percussionniste Sonny Troupé et du pianiste Xavier Belin, la contrebassiste et vocaliste a déployé un langage singulier, à la frontière du jazz contemporain, du conte et de la musique traditionnelle. Saint-Aimé pratique la contrebasse non pas comme un simple instrument d’accompagnement, mais comme un véritable organisme vivant. Son jeu, très physique, construit un paysage rythmique et harmonique mouvant. Les pizzicati puissants alternent avec des glissandi presque vocaux ; certaines phrases naissent d’un frottement, d’un souffle, d’un timbre rêche qui introduit ensuite une ligne plus lisible.
La musicienne sculpte la matière sonore autant qu’elle joue des notes : elle « met en tension » chaque geste, et c’est ce qui donne à ses compositions un caractère si organique.
La voix de Sélène Saint-Aimé est l’un de ses instruments à part entière. Tantôt lumineuse, tantôt habitée d’un vibrato discret, elle explore des syllabes créoles, des mélismes flottants, ou des fragments de texte qui semblent surgir comme des souvenirs. Il y a dans son chant une proximité avec la tradition martiniquaise — une oralité assumée — mais aussi une manière contemporaine d’utiliser la voix comme texture, sans chercher l’effet lyrique. Elle chante pour invoquer, non pour séduire ; et cette intention donne à chaque intervention une densité émotionnelle particulière. Chaque morceau semble guidé par une idée narrative : un paysage marin, une légende créole, un souffle, une pulsation archaïque.
Saint-Aimé ne raconte pas explicitement, mais suggère, et c’est cette part d’invisible qui donne à sa musique sa force. Les formes ne sont jamais rigides : les thèmes apparaissent, disparaissent, se transforment. Le trio évolue par expansion ou contraction, dans un jeu presque chorégraphique. La liberté est totale, mais jamais chaotique : chaque geste semble inscrit dans une dramaturgie intérieure.
Contrairement à des concerts plus démonstratifs, celui-ci s’est déroulé dans une atmosphère suspendue. L’écoute était palpable dans la salle, comme si le public se trouvait convié à un voyage introspectif. Les silences entre les morceaux, loin de briser l’élan, participaient à cette sensation de rituel musical.
À Jazz à l’Ouest, elle n’a pas seulement donné un concert : elle a créé un espace où se rencontrent tradition, modernité, spiritualité et recherche musicale. Une prestation qui marque durablement les esprits, et confirme que son univers, d’une grande intégrité artistique, continue de se déployer avec une puissance tranquille.
Le public a dû attendre la fin du festival pour avoir la possibilité d’entendre le saxophoniste de renommée internationale Pierrick Pédron. Le jeudi 20 novembre, Pierrick Pédron et son quartet ont investi la scène de la MJC Bréquigny pour proposer — comme l’annonçait la programmation du festival — une relecture personnelle de l’album mythique The Shape of Jazz to Come d’Ornette Coleman. Un pari audacieux, et pourtant — magnifiquement — tenu. Le public rennais a vécu une soirée intense, entre hommage respectueux, réinterprétation créative et affirmation identitaire.
Dès les premières notes, le son de Pédron s’impose : clair, incisif, affirmé. Son alto n’est pas simplement un instrument parmi d’autres ; il est le narrateur de cette réinterprétation. Là où Coleman cherchait la rupture, la liberté, l’insurrection sonore, Pédron apporte une lecture plus méditative, plus structurée — sans jamais trahir l’esprit du jazz libre. Ses phrases alternent entre longues envolées altissimo, motifs mordus, ruptures abruptes et silences signifiants. Il joue avec l’espace, respire avec les références, tisse un pont entre le passé et le présent. Par moments, sa ligne semble suspendue, flottante, puis elle s’abat — nette, franche — comme un manifeste. Le pari de revisiter The Shape of Jazz to Come aurait pu sombrer dans le pastiche — ou au contraire, dans une relecture trop libre, perdant le fil.
Or, Pédron et ses musiciens réussissent l’équilibre : ils honorent la liberté originelle de Coleman, tout en y apportant leur maturité, leur son propre, leur approche contemporaine. Ce n’est pas un concert nostalgique, mais une re-création — un hommage vivant, mouvant, renouvelé. Quelques morceaux ont été transformés par des tempi revisités, des intensités modulées, des interventions plus méditatives. Dans d’autres, le quartet a attisé la flamme, redonné à des impros libres la valeur de l’instant.
Ce qui frappe, c’est la façon dont Pédron refuse le confort : ce jazz là est vivant, instable, en perpétuel danger — et c’est ce qui le rend si vibrant. Le festival — dans sa 35ᵉ édition — démontre qu’il ne se limite pas au jazz “festif” ou “grand public”, mais qu’il est prêt à accueillir des projets exigeants, des lectures audacieuses, des jazzmen de haut vol.
Et le public a répondu présent : la salle, attentive, s’est immergée dans ce voyage introspectif, souvent silencieux, parfois électrique. Quand la musique a cessé, l’ovation n’a rien de cérémoniel — elle sonne comme une reconnaissance, sincère, partagée. Le concert de Pierrick Pédron à Jazz à l’Ouest 2025 n’était pas qu’un hommage à Ornette Coleman — c’était une réaffirmation : le jazz vit, évolue, se réinvente. Pédron et son quartet ont prouvé qu’il est possible de revisiter un chef-d’œuvre sans le dénaturer, mais avec la voix — unique — d’aujourd’hui. Pour le public, c’était une plongée saisissante dans un univers de liberté contrôlée. Pour le jazz français et européen, c’est une preuve supplémentaire que des artistes peuvent conjuguer rigueur, sensibilité, ouverture — et offrir des moments vraiment intenses, qui marquent.
On attend avec impatience la 36e édition du festival.
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