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" Composition française" de Mona Ozouf
- Chronique -
"Composition française", le récit autobiographique de Mona Ozouf

Mona Ozouf est la fille de Yann Sohier, instituteur de gauche et ardent défenseur du breton, qui fut en même temps ami de Marcel Cachin et de l'abbé Perrot.

marc Patay Lejean pour ABP le 30/06/16 14:08

Mona Ozouf est la fille de Yann Sohier, instituteur de gauche et ardent défenseur du breton, qui fut en même temps ami de Marcel Cachin et de l'abbé Perrot (1). Le fondateur d'Ar Falz, animé d'un idéalisme incontestable, voulut défendre aussi bien la laïcité que la culture bretonne, ce qui fait l'originalité de son combat. Sohier fréquenta peu ou prou tous les militants bretons d'avant guerre et comme le rappelle sa fille. On ne peut, comme s'y complaît une « prose justicière », inférer de ce qui ce qui serait advenu de ses amitiés et de ses choix militants, durant et après la guerre, puisqu'il mourut en 1935.

Je dois avouer que j'ai eu quelques hésitations à lire ce livre. Le titre ne m'inspirait pas et l'auteur me paraissait très prudente s'agissant de l'actualité bretonne (réunification, langue), et cependant honorée comme un brillant exemple de réussite bretonne dans la capitale. J'ai bien fait de passer outre mes réticences et Mona Ozouf a les défauts de ses qualités éminentes : du savoir, de l'intelligence et de la finesse. Avec cela, un désir certain d’adhérer aux grands courants d'idées et une admiration pour la Révolution, la Laïcité et l'universalité, qui me paraissent un peu datées.

Mona fut confrontée très jeune à quatre milieux parfois antagonistes qui ont construit son identité et sa personnalité : la Bretagne militante de ses parents, la Bretagne traditionnelle incarnée par sa grand-mère, la Bretagne catholique, enfin l'école laïque qui sera pour elle un espace de liberté, chacun tentant de capter son amour et son attention, chacun déployant séductions et contradictions envers une jeune fille tiraillée.

Yann Sohier, natif de haute Bretagne, s’enthousiasme très jeune pour la culture et la langue bretonnes, il lit le Barzaz Breizh, dont George Sand a dit « plus parfait qu'aucun chef d’œuvre de l'esprit humain », admire Renan, rencontre François Vallée, fut l'ami de Creston et de Savina, déteste « an trubard », le traître Du Guesclin, accueille avec joie le plasticage du « monument de la honte » (2) à Rennes. Et cette Bretagne idéalisée, il la rencontrait bientôt chez sa femme, originaire de Lannilis.

La grand-mère représente la Bretagne traditionnelle, peu instruite, « il lui fallait pousser les mots de l'index », dure au mal, travailleuse, très sensible à la honte, « gant ar vez » et sécurisante. En son temps, « on faisait, à chaque naissance, la folie d'acheter un litre de vin », ce qui éclaire sur l’alcoolisme breton. Elle méprise les hommes et porte la culotte, image convenue, il me semble, reprise par Hélias, car son homme justement était en mer, pas à la pêche cette fois, mais dans la Royale, sur La Victorieuse ou le Furieux ; difficile dans ces conditions, pour ces hommes courageux, de s'occuper du ménage !

Cependant la grand-mère n'est pas dévote, elle se rendait à confesse par simple hygiène, et inscrit la mère de Mona à l'école laïque, ce qui d'après Hélias représentait un vrai test de résistance à l’Église, car dans une fratrie, on y envoyait plutôt les garçons. La mère de Mona sera donc institutrice. La grand-mère rassure et conseille. Vers 14 ans, Mona s'interroge sur les relations charnelles. Sa grand mère lui explique : « ne t'en fais pas, c'est tout de suite fini » !

Cette grand-mère est très stricte sur les « usages ». Mona dut apprendre son catéchisme et faire sa première communion, mais ce sont les livres et surtout l'école laïque qui la délivreront de la tristesse et de la solitude qui habitent sa maison depuis la mort de son père. « L'école est le lieu d'une bienheureuse abstraction » dit-elle. Car sa mère ne se remarie pas, les relations sont tenues avec les populations locales, elle en veut aussi aux milieux militants où son mari s'est usé dans l’indifférence. Et puis Mona s’évade par les livres, les grands auteurs bretons notamment, Le Braz, Le Goffic, que sabraient Louis Guilloux, Lamennais, Chateaubriand, Renan…

Mona Ozouf a connu Louis Guilloux, ce romancier réaliste, bien meilleur en fait de réalisme, que Zola. Je suis étonné qu'elle n'ait pas été frappée par son beau roman, Le Sang Noir et ces personnages d'anthologie : Cripure et Maïa, Cripure, ce géant, cet homme bouleversant, malmené par des nains ... Mona est plus prolixe pour Compagnons, qui malgré une préface élogieuse de Camus, est nettement moins profond.

Écartelée entre ces quatre identités, Mona est reconnaissante, à cette époque, à l'école laïque d'en choisir une à sa place et d’araser les autres, de lui choisir l'universel plutôt que le particularisme, sous l'impulsion d'instituteurs routiniers plus que dogmatiques. Le curé de la paroisse a beau tonner en chaire contre « Marianne la morveuse », rien n'y fait. Jeune, il lui paraissait évident « que c'est la France et non la Bretagne qu'il fallait apprendre ». Ce n'est qu'à l'âge adulte, qu'elle a su faire la part des choses, retrouver et puiser à chacune de ses identités, à chacun de ces mondes, de quoi s'enrichir, en toute liberté. Nombre de Bretons, n'ont pu ou n'ont su faire ce travail, résoudre ces oppositions, s'enfermant dans le silence, le déni, le travail…

D'après l'auteur, spécialiste de la Révolution, il y a encore aujourd'hui « une fascination de l'historiographie française pour la politique fusionnelle du comité de salut public », autrement dit pour le Jacobinisme. Pourtant remarquez que les Jacobins ne se vantent pas trop de peur de passer pour bêtas, car c'est tout de même une maladie honteuse.

Selon l'auteur, il y avait dès l'origine, « des hommes attachés à une République autre (non jacobine), plus accueillante aux particularités et aux dissidences ». Elle nous apprend par exemple que Jules Ferry, sous la 3e république il est vrai, aurait soutenu « un projet de décentralisation », en outre il prit soin de ne faire décrocher les crucifix des écoles laïques qu'avec la plus grande prudence…

Mona Ozouf cite une article « brillant » de Régis Debray, opposant Démocratie et République (3). Mais contrairement à cet intellectuel brumeux, en cela très français, dont l'argumentation évoque le « bateau ivre », en moins poétique, « Composition française » ne brille pas seulement, il est bien conçu et son auteur s’exprime clairement sur ce drame qu'ont pu vivre de nombreux Bretons écartelés entre quatre cultures inamicales.

Ce livre, paru en 2009, est donc à lire absolument.

Notes :

1. Assassiné lâchement par un communiste, sans preuves de collaboration, il avait dénoncé le massacre de Katyn ;

2. Sculpture représentant la Bretagne à genoux au pied de la France sur l’hôtel de ville de Rennes, bon débarras en effet ;

3. Paru dans le Nouvel Obs, 1995.

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Informaticien, marié, aime l'écriture (prose poétique, essais, traduction), la langue bretonne, l'histoire, de la Bretagne en particulier, etc
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Vos 3 commentaires
  Michel Treguer
  le Jeudi 30 juin 2016 17:40
Euh… Qu'est-ce qui est préférable ? lire le livre de Mona Ozouf et l'entendre en parler depuis sept ans sur toutes les radios (des heures sur France Culture) et les télévisions ; ou lire, après tant de journaux, le commentaire de Marc Patay "un peu plus tard"… (Allons, c'est de l'humour.) De surcroît, Mona avait déjà souvent parlé ailleurs de son père. Manquent dans l'article l'appartenance de la normalienne au Parti Communiste et sa démission ultérieure, ce qui peut expliquer certains traits de son parcours. Et, pour les Bretons, la localisation de son enfance à Lannilis, puis de son adolescence près de Saint-Brieuc (d'où Louis Guilloux).
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  Kristof
  le Vendredi 1 juillet 2016 11:24
Personnellement, j'ai ressenti un certain malaise à la lecture de ce livre.
Voilà donc la fille de Yann Sohier , devenue une spécialiste de la révolution française, avec tous ses massacres et ses horreurs inimaginables. Révolution inutile, qui a permis à la bourgeoisie de prendre la place de la noblesse.
Je ne l'ai pas entendue fustiger cette extraordinaire révolution avec son cortège de massacres , tortures, viols, noyades de masse (n'est-ce pas monsieur Carrier?), gens brûlés vifs, enfants écrasés sous les sabots des chevaux, jugements bidon avant le supplice...
Je ne l'ai pas entendue honorer la mémoire de son père en écrivant en langue bretonne, qu'elle connaît bien. Il est vrai que les honneurs factices et les lumières aveuglantes sont à Paris...Elle aurait pu apporter un regard breton sur ce qui s'est passé en Bretagne au moment et après la lumineuse révolution française que le monde entier envie à la France...!..?..
J'ai ressenti le même malaise que celui que j'ai ressenti devant l'attitude de Per Jakez Helias, excellent bretonnant du pays bigouden , qui ne leva pas le petit doigt pour nous venir en aide quand nous croulions sous les difficultés pour développer le premier réseau Diwan.
Ceci dit , je lui reconnais un talent d'écrivain , le livre se lit facilement, elle a de belles connaissances, et j'ai cru deviner un regret de n'avoir pas approfondi cette belle culture bretonne que lui avait légué son père et sa famille.
L'impression dominante du bretonnant que je suis : dommage, une fois de plus...
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  JJ Goasdoue .
  le Mardi 31 octobre 2017 20:27
Lu ce bouquin entendu mme ozouf .. netra bet .. ou est le sang de Yann ? Retrouvé du startijenn avec Milig Anjela Xavier Youenn Drezenn hag all ..
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