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A droite la partie de la rue des Carmes menacée de destruction
A droite la partie de la rue des Carmes menacée de destruction
- Point de vue -
Détruire le patrimoine : un choix politique périmé ?

Dans ce lointain pays qui s'étend au-delà d'Ancenis et que l'on appelle la France, parfois ont lieu des événements locaux qui intéressent aussi la Bretagne. Surtout quand ils ont trait à la conservation de l'héritage historique et architectural, tant malmené dans notre pays par les guerres et les dirigeants de toutes sortes.

Louis-Benoît Greffe pour ABP le 21/10/11 13:41

Dans ce lointain pays qui s'étend au-delà d'Ancenis et que l'on appelle la France, parfois ont lieu des événements locaux qui intéressent aussi la Bretagne. Surtout quand ils ont trait à la conservation de l'héritage historique et architectural, tant malmené dans notre pays par les guerres et les dirigeants de toutes sortes.

Une petite histoire orléanaise…

Ainsi, à Orléans, le projet de démolition de la rue des Carmes vient de subir un coup de frein. Rappelons les faits. Au commencement était un projet de tram, la ligne est-ouest, transversale à l'actuelle ligne globalement nord-sud. Cette ligne de tram devait passer dans la rue des Carmes, qui comme la rue du Calvaire à Nantes, est large dans sa partie est, là où elle a été bombardée et reconstruite, et étroite dans sa partie ouest, au milieu des maisons rescapées des bombardements. Or, il se trouve que c'est un peu la « rue des kebabs » qui ont fleuri dans les maisons décaties qui bordent la partie ancienne. Ni une ni deux émerge un projet dément (voir le site) : raser la partie sud de la vieille rue pour créer une pénétrante à voitures à sens unique , direction le centre, afin semble-t-il de dynamiser ses commerces. Et araser du même coup kebabs, habitants et vieilleries pleines de taudis. Dit la municipalité, qui rêve de transformer en poussière les immeubles du n° 45 au n° 77 de la rue des Carmes. Les habitants ruent dans les brancards, et le bras de fer s'engage. Les données des études préalables sont arrangées : la pénétrante va aboutir sur des voies tortueuses, étroites, mal éclairées (rue Notre-Dame de Recouvrance (voir le site) , l'alignement cassera du patrimoine. En même temps que la première enquête publique, le classement aux Monuments historiques de deux immeubles, le n° 45 et le n° 59, est demandé.

Entre-temps, le commissaire enquêteur rend ses conclusions sur la première enquête : le projet municipal est sérieusement freiné. La piétonisation et la sauvegarde de la rue sont demandées. Qu'à cela ne tienne, la municipalité s'accroche mordicus et relance une enquête publique, sans changer une ligne de son projet. Mais elle subit rebuffade sur rebuffade : forcée de renoncer au débouché de la pénétrante, puis concéder la piétonisation de la rue où passent les rails du tram, elle n'a comme exutoire que de faire durer les travaux afin de contraindre au départ riverains et commerçants excédés. Enfin, mercredi soir, la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites rend un avis favorable au classement des n° 45 et n° 59 de la rue des Carmes , donnant un coup de frein au projet. En effet, sur cette partie de rue dont pas une pierre n'est postérieure à 1792, où la plupart des maisons ont été construites entre 1470 et 1530, l'alignement toucherait maintenant deux monuments historiques classés, au cœur du patrimoine orléanais, l'un d'eux est le dernier tronçon du bâtiment construit en 1792 par l'architecte LEBRUN en lieu et place du couvent des Carmes, celui-ci même dont la rue conserve le nom.

Gueule de bois et vengeances politiques de portée nationale

Même les employés municipaux dépités le reconnaissent, Orléans a une drôle de municipalité : d'un côté, elle rénove et restaure les façades (et elles seulement) de la partie est du centre historique, autour de la rue Bourgogne, de l'autre côté, elle maintient la moitié ouest du centre historique dans un état délabré. Les rues mal éclairées croupissent dans l'oubli, deux des plus belles églises de la ville (Notre-Dame de Recouvrance et Saint-Euverte) sont dans un état déplorable, et ce qui ne plait pas à la mairie, elle le casse « car tel est son plaisir ». La ville est coupée en deux de la façon la plus inique. Sans oublier les châteaux martyrisés, à savoir les Montées au sud et la Motte-Sanguin à l'est (voir le site)

Mais désormais, il faudra passer aux choses sérieuses : la moitié ouest de la ville, excèdée, n'espère que le départ d'un exécutif qui s'est compromis dans un grand projet de ville loufoque et dépensier, à trop vouloir laisser sa trace dans… l'Histoire qu'il honnit pourtant. Quant aux autres, ils maudissent tout à la fois ce tram neuf qui a couvert l'agglomération de trous, et le pourrissement du projet des Carmes dans une rue qui a été la première à être défoncée et sera la dernière remise en état Mais elle est peut-être sauvée, après avoir manqué de peu d'être remplacée par cette «architecture»-là : (voir le site) très bonne dans une périphérie mais impudente dans un centre historique. Les centristes indécis qui ont trop voulu cultiver le consensus sont déconsidérés. La gauche, qui a porté la contestation, triomphe.

La chance du patrimoine orléanais repose surtout sur l'efficacité des services chargés de défendre le patrimoine historique de la ville et d'avaliser, ou non, les projets qui le modifient. En première ligne, le Service Territorial d'Architecture et de Patrimoine, dont l'Architecte des Bâtiments de France (ABF) a su anticiper le massacre à la bétonneuse. Les ABF de France ont payé l'obstination franche de certains de leurs collègues à faire leur devoir envers et contre tout, par la suppression de leur principal moyen d'action, l'avis conforme : (voir le site) et l'adoption de lois qui se couvrent, soit de l'environnement, soit de la « simplification des normes » afin de supprimer tous les freins qui retiennent encore les élus locaux démolisseurs (voir le site)

Et en Bretagne ?

Chez nous, aucun maire ne serait assez fou pour proposer la destruction pure et simple d'une partie de rue rescapée de la Révolution, des aménagements urbanistiques du XIXe et des bombardements. Et ce, notamment parce que toutes nos villes principales ont été bombardées ou ont souffert durement de la guerre. Que le moindre bâtiment rescapé fait partie des repères de tout habitant d'une ville bretonne. Et qu'il ne serait pas question qu'il soit spolié de ce repère que ses parents ont aussi connu, cet élément qui le rattache, lui, au passé historique glorieux ou martyr de sa ville.

Le problème se pose, en revanche, pour le patrimoine des XIXe et XXe siècles antérieur à 1945 , dans des villes comme Saint-Nazaire ou Brest où le bombardement a été si intense qu'il ne reste quasiment rien des siècles antérieurs (si, en l'espèce, une petite chapelle). Que faire ? Sanctuariser à outrance, au risque de ne pouvoir donner le moindre coup de pelle dans des villes de plus en plus soumises à la pression immobilière et à la croissance de leur population ? Ou définir les bâtiments qui méritent d'être conservés, car ils sont représentatifs d'un style, d'une époque ou qu'ils s'attachent à un grand homme . Comme ce garage Art Déco de Nantes, dont la démolition avait été la source d'une longue contestation dans les années 1970. Comme le musée Jules Verne, fièrement attaché à la butte Sainte-Anne. Comme les positions allemandes de Brest construites entre 1940 et 1945 et grandement diminuées par les travaux du tram (voir le site) Comme le FL 250 de Saint-Marc, dont l'existence a sauvé les vestiges de Saint-Nazaire de l'anéantissement pur et simple ( voir l'article )

En matière de patrimoine, il y a toujours de l'espoir pour ceux qui se battent

Quoi qu'il en soit, cette affaire orléanaise enseigne que la destruction du patrimoine est un très mauvais placement politique. En France, Orléans est devenu le symbole d'une honte nationale, celle de la démesure des maires, de l'urbanisme délibérément dirigé contre les habitants des villes, de projets de lois pris « entre amis » qui préfèrent les pelleteuses à l'histoire. La contestation contre la destruction du patrimoine est plus forte que jamais, y compris pour les atteintes au patrimoine paysager : les éoliennes qui allaient défigurer la baie du Mont devront reculer (voir le site) . Dans le même coin, la mairie de Caen a été très fortement secouée après avoir laissé se faire la démolition du cloître du Bon Sauveur, le plus grand hôpital de Caen pendant la bataille qui a écrasé la ville (voir le site) À Nantes même, les affaires des Cordeliers et de l'ilot Lambert ont conduit à bien plus de prudence pour tous les projets immobiliers dans le centre historique , notamment ceux des ilots Boucherie qui ont été le prétexte à la revalorisation de divers éléments de la Porte Sauvetout.

Il y a bien d'autres façons de détruire le patrimoine, et il faut y résister. Noyer la Loire-Atlantique dans une forgerie historique « ligérienne », renommer les noms de lieux-dits par trop bretons (c'est ainsi que Saint-Joseph de Portricq est devenu Saint-Joseph de Porterie), laisser faire les bétonneurs (voir le site) , casser les œuvres d'arts et les remplacer par des torchons illisibles ( voir l'article ), voire saccager délibérément les monuments qui rendent caducs, par leur existence même, toute cette accumulation de mensonges sur notre histoire et sur notre identité : c'est le sort que les « collectivités » indifférentes vouent au pauvre château d'Ancenis (voir le site)

Affirmer notre identité, défendre pierre à pierre l'histoire et ses héritages, maintenir le devoir de mémoire sont les premiers des devoirs des citoyens bretons et français . Lorsqu'un élément du patrimoine est détruit, ce sont tous les citoyens qui sont spoliés, car personne ne peut s'approprier l'héritage commun. Celui-ci doit être au cœur de nos vies, de nos projets, de nos villes. Un tram n'est pas prétexte à la casse du patrimoine ( voir l'article ) et c'est pourquoi tant que les gens se battront pour limiter l'ardeur des démolisseurs, il y aura toujours de l'espoir. De l'espoir pour la toiture fatiguée de Notre-Dame de Recouvrance, pour l'église Saint-Euverte transformée en entrepôt, de l'espoir pour les blockhaus agonis de tags, pour le FL 250 qui veille sur l'Estuaire, pour les chapelles avalées par les ronces comme celle de Bessac, pour l'identité bretonne de la Loire-Atlantique, de l'espoir pour les murailles de Provins et d'Ancenis, de l'espoir enfin pour tout ce qui est délaissé mais pas encore détruit, tout ce qui est le lien indéfectible entre nous et la terre sur laquelle nous vivons. Secouez l’indifférence, rejetez la mollesse, il y a toujours de l'espoir.


Louis Bouveron

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Délégué départemental de la SPPEF (Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France), association d'utilité publique qui a pour but de défendre, depuis sa création en 1901, le patrimoine historique, architectural et naturel français.
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