Amourouzien seizh 'lâ' - Les amoureux de sept ans — Annie EBREL (An ebatoù)
Du spectacle conçu lors d’une résidence effectuée au Carré Magique de Lannion (22), à l'album « live », enregistré au Jardin Moderne, à Rennes, voici le 11e opus d'Annie Ebrel : « An ebatoù » !
Répété, dans le Trégor, lors d’une résidence effectuée au Carré Magique de Lannion (22), « An ebatoù », comme amusements, fêtes et danses, est, avant tout, un spectacle de plus d’une heure, créé en 2024 par Annie EBREL et ses trois musiciens, Clément DALLOT, Ronan PELLEN et Daravan SOUVANNA.
La première représentation de cette dansante fresque musicale textuelle et linguistique a eu lieu le 1er février 2025 au Centre de culture et de création bretonne, l’ex- « Amzer Nevez », à Plœmeur (56), dans le cadre du festival annuel « Les Deizioù », organisé par la fédération Emglev Bro an Oriant.
Le spectacle prend source dans le Kan ha diskan, ce chant en alternance qui rythme les fêtes et la danse bretonnes.
Il s’agit, en quelque sorte, d’un quasi retour aux sources pour Annie EBREL qui a fait ses débuts en 1983, guidée par la passion transmise, en matière de chant et de langue bretonne, par ses parents et grands-parents.
C’est à 13-14 ans, auprès de Yannick LARVOR, que cette fille d'agriculteurs bretonnants, native du Kreiz-Breizh, plus précisément de Lohuec (22) a, effectivement, commencé à chanter.
Au travers de cette création scénique, l’iconique et expressive chanteuse au magnifique timbre souhaitait mettre en lumière l’importance centrale de la danse au sein de la culture bretonne et au cœur du répertoire populaire chanté. La danse en mouvement, certes, telle qu’on la pratique dans les festoù noz et deiz, mais aussi, la présence évocatrice de cette expression corporelle dans les couplets et refrains des chansons traditionnelles interprétées lors des fêtes, des réunions familiales, des rassemblements, en faisant percevoir à l’auditeur une poétique langue bretonne, un peu différente de celle parlée au quotidien.
La succession des chansons d’inspiration traditionnelle, interprétées sur des musiques très actuelles est ponctuée, rythmée, enrichie par les talentueuses et substantielles narrations d’Annie EBREL qui, se révélant excellente raconteuse, sur des textes transcrits de sa pensée par le conteur Achille GRIMAUD, assurant également la mise en scène, permet à la chanteuse de se confier sur ses rapports à la danse et au chant à danser. Annie évoque, notamment, plusieurs de ses compères de chant, au fil du temps, rencontrés, en croquant leurs différentes attitudes scéniques, allant de l’action démonstrative à l’impassibilité.
Par ses éclairants commentaires, la chanteuse parvient, aussi, pour les non-locuteurs, à faire tomber la barrière de la langue.
De la scène au disque… il n’y avait qu’un pas à franchir, étape artistique que nous attendions avec gourmandise, puisque, invitée, en décembre 2024, sur les antennes d’ICI Armorique, dans l’émission « La table d’Arthur », animée par Glen JEGOU, diffusant des enregistrements réalisés au précité Carré Magique de Lannion, Annie EBREL nous laissait entrevoir, en fin de session radiophonique, la parution, en 2025, de l’album issu du spectacle « An ebatoù » sus-décrit.
21 novembre 2025, nous y sommes, voici le nouvel opus du quartet Annie EBREL tant espéré et titré, cela va de soi…« An ebatoù » !
Entre tradition et création, portant à notre oreille un répertoire vivant, ce souffle de danse vital se trouve corroboré par la nature même de l’enregistrement réalisé, en public, les 20 et 22 mai 2025, au Jardin Moderne, à Rennes.
Traduisant, à merveille, complicité, interaction avec le public et proximité, intimité, d’une petite salle de concert avec ses 250-300 places, la prise de son et le mixage ont été fort bien réalisés par Gwénolé LAHALLE, ingénieur du son et, par ailleurs, entre culture pop-rock, musique bretonne et celtique, compositeur et guitariste, cofondateur avec chanteuse BLEUNWENN, du groupe « VINDOTALE » (Voir : Chronique « Unerez Ar Bal » et chronique « Tan » ).
Ronan CLOAREC du studio nantais « Incisive » ( Voir site ) a, par son mastering soigné, optimisé le large et dynamique rendu sonore.
11 titres chantés en breton, mais, tous, traduits dans le livret de 12 pages, joint au Compact-Disc et illustré des photos d’Eric LEGRET, nous font entrer, de « pleins pieds dansants », au sein de plus de 50 minutes de tradition chantée et dansée, mais, aussi dans les sphères d’une démarche artistique inventive liant héritage oral et création contemporaine.
Au-delà de son évidente et reconnue expertise linguistique, rythmique et vocale, Annie EBREL révèle de plus en plus ses compétences et envies en termes de compositions mélodiques et d’écritures des textes.
Dans « An ebatoù », Annie EBREL signe, en paroles, intégralement originales, adjointes à des textes traditionnels existants ou adaptées, pas moins de 8 chansons !
Côté composition musicale, l’artiste émarge les notes originales de 3 titres.
C’est, aussi, une révélation liée à l’élaboration de cet opus qui, par ailleurs, nous donne à entendre de très riches sonorités instrumentales dispensées par, déjà présents sur l’enregistrement de « Lellig » ( Notre chronique ), Clément DALLOT : piano et claviers, Ronan PELLEN : cistre, et Daravan SOUVANNA : basse électrique et percussions qui communient parfaitement avec le chant et la podorythmie de la virtuose et fascinante chanteuse.
La juxtaposition, la convergence, la fusion des univers musicaux de ce fort brillant et porteur trio d’instrumentistes qui, globalement, selon chacun d’entre-eux, évolue, entre musique bretonne, jazz, jazz-funk, afro-américain, latino-américain, world, musique indienne, musiques anciennes, passant, notamment, pour Clément et Daravan par la création du groupe Nâtah en 2014, puis Nâtah Big Band, en 2016, donne à Annie EBREL une solide assise à son désir de « passer » la tradition qu’elle côtoie depuis toujours, par la langue maternelle bretonne, le chant, la danse, tout en la transmettant aux nouvelles générations par l’élaboration de nouveaux sons ancrés dans le présent.
Le quartet entreprend, ainsi, une démarche patrimoniale et artistique, libre, inventive, plus particulièrement concentrée, par le choix d’Annie, sur le Kreiz-Breizh, en Pays fisel, Pays gavotte, Pays plinn.
Par cette création vibrante « An ebatoù, intense, Annie EBREL fait dialoguer mémoire collective et chant pour redonner vie aux racines traditionnelles, tout en mettant en lumière l’aspect poétique d’une langue bretonne chantée, avec ses liaisons entre les mots, ses atténuations ou accentuations spécifiques, en quelque sorte, sa propre musique.
L’intégralité du programme de ce disque, issu d’anciens collectages, mais aussi, de compositions et textes originaux est, vous vous en doutez, s’agissant de la rigoureuse et toujours perfectionniste Annie EBREL, passionnant et divers, puisque traduisant les joies comme les peines, les drames, voire les croyances, tous ces moments et événements de vie qui s’articulent autour du plaisir partagé de la danse.
Bien difficile, pour nous, de ne pas évoquer tous les titres qui, tant par leur diversité de propos, d’arrangements, de « tessitures » instrumentales, créent, dans la subtilité et le ciselage multi styles, à la fois, dissemblance et homogénéité.
Nous avons, particulièrement aimé, en 4e piste, tout « en pleins et déliés », « Ar verjelenn – La bergère », sur une musique et une adaptation d’un texte traditionnel signés d’Annie EBREL.
A son sujet, le commentaire figurant dans le livret, précise :
« Cette chanson également nommée « An daouvreur » / « Les deux frères », est emblématique du répertoire de chant à danser des pays fañch, fisel et gavotte. La version chantée ici rubato est adaptée d’un collectage fait par Yann-Fañch KEMENER, auprès de Françoise MEHAT DE LANISCAT. »
Dès, s’insérant sur une nappe de claviers, le serpentant égrènement introductif des notes du cistre de Ronan PELLEN, vous êtes emportés dans un romantique mélancolisme, immédiatement amplifié par la splendide voix d’Annie qui, suavement, sensuellement, vous enveloppe dans les spires de son large et intense spectre vocal.
La technique du chant rubato (mot italien signifiant « dérobé »), qui est une indication d'expression musicale commandant d'avancer certaines notes de la mélodie ou d'en retarder d'autres pour abandonner la rigueur de la mesure, produit, ici, tous ses effets pour narrer le thème d’une bergère qui apprendra, par un fort ressemblant marchand de passage, la mort de son mari, parti pour sept ans à l’armée.
| […/…] " Lâret-c’hwi din berjelenn, na c’hwi a zo dime’et ? " " Alleluia marc’hadour seizh ’lâ ‘ zo tremenet. " " Lâret-c’hwi din berjelenn, lâret r wirione’ : " Ur blev melen a nâ heñvel mat deus ho re, Un diamant aour war e viz heñvel deus ho hini, " O ! Salokroaz berjelenn, evit se me na n’on ket |
[…/…] " Dites-moi donc, bergère, êtes-vous mariée ? " " Alléluia, marchand, cela fait bien sept ans. " " Dites-moi donc, bergère, dites-moi la vérité : " Il avait des cheveux blonds pareils aux vôtres, Un diamant d’or au doigt pareil au vôtre, " O ! Sauf votre respect, bergère, ce ne peut être moi, |
En piste 8, plus swing, plus jazzy, avec des paroles originales écrites par la chanteuse, vous écouterez et, comme-nous, sans nul doute, apprécierez, « Pardon ar ganerien – Le pardon des chanteurs ».
Au sujet de ce morceau, sur la page du livret annexé au Compact Disc qui reprend et traduit le texte, Annie EBREL précise :
« Ce Pardon des chanteurs m’a été inspiré par « Le pardon des kan ha diskan », enregistré à Plévin, en 1965 chez Mouez Breiz. La mélodie est un remaniement d’une composition de Pier BEAUDOUIN, dont la version originale est chantée sur les deux derniers couplets ».
Percussions, podorythmie, basse électrique, paraissent assurer un champ libre aux claviers qui sur ces solides bases rythmiques semblent improviser. Au cours de la pièce, la formation ménage quelques très courtes respirations mélodiques, avant que la cadence ne s’accélère, à nouveau, en accentuant la transe. Annie adjoint à son chant des traditionnels, experts et fluides « La la la » vocalisés, pour, notamment, nous livrer in fine, la version originale annoncée et chantée lors des deux derniers couplets.
Cette contemporaine interprétation illustre parfaitement la faculté pour le quartet de porter la mélodie originale de Pier BEAUDOUIN vers une composition très actuelle et, particulièrement, pour la chanteuse-parolière, de joliment faire sonner un breton nouvellement écrit qui, dans la seconde partie de la chanson, comme pour un générique reprend, notamment, associés aux titres interprétés lors du pardon de Saint-Diboan, les noms des artistes présents sur l’enregistrement de 1965.
Citons, entre autres, selon l’ordre des plages du disque vinyle 33 tours Mouez Breiz (Réf : 30347), réédité en 2015, sous la forme de Compact-Disc chez Keltia Msique, Pierre BEAUDOUIN et Marie POHER (2), Les Frères MORVAN (4-9-10-11), Les SŒURS GOADEC (8) Christine EBREL-BOUEDEC (12)…
|
D’ar bemp’et devezh war ’n ugent dimeus a viz ebrel, Da ze’ pardon Sant-Diboan ‘oa deut an dud a bell. Kanerien Plevin ’nâ grêt ur gouel deus ar c’hêrañ, […/…] ‘Vit pardon ar c’han ha diskan, pardon ar ganerien, Kanaouenn Ar rederien bro ‘oa kanet gant re Ploure, Evit pardon ar ganerien… G’ar re Morvan ur gavotenn, Ar riboterez lêz, Tasi, Tanon hag Eugénie ‘ oa ive’ ba’zh ar vro, Christiane Ebrel son Margodig ‘ nâ kanet war un ton kêr Se ‘ oa er blâvezh mil nav c’hant ha pemp ha tri ugent, Evit pardon ar ganerien… |
Le vingt-cinq du mois d’avril, Les gens vinrent de loin pour le pardon de Saint-Diboan. Les chanteurs de Plévin avaient organisés une belle fête, […/…] Pour le pardon du Kan ha Diskan, le pardon des chanteurs, Ceux de Plouray chantèrent la chanson des Rederien bro, Pour le pardon des chanteurs… Les Morvan, une gavotte, Ar riboterez lêz, Tasi, Tanon et Eugénie étaient également présentes, Christiane Ebrel chanta Margodig sur un bel air, Cela se déroula en mille neuf cent soixante-cinq, Pour le pardon des chanteurs… |
« Quoi de mieux qu’une gavotte pour rendre hommage aux extraordinaires Soeurs Goadec ! ».
Avec le même vif et émotionnel plaisir, vous retrouverez sur les paroles traditionnelles, adaptées par Annie EBREL et la musique originale, toutefois avec délicate et respectueuse novation, « revisitée », « Ar bennerezh – l’héritère ».
Cette version reste dans la structure rythmique et mélodique de celle des trois sœurs GOADEC, Maryvonne, dite Tanon (1900-1983), Eugénie (1909-2003) et Anastasie, dite Tasie (1913-1998), interprétation que vous pouvez, par ailleurs, écouter en 19ème piste du 2ème C.D. issu de l’édition double en 39 titres de 2012, titrée « Les soeurs Goadec – Chanteuses du Centre-Bretagne » (Collection Grands interprètes de Bretagne – Volume 5 – Réf :CD 1032), disponible chez ARFOLK
Les traditionnels « la la la la la le no » introductifs qui s’accélèrent pour atteindre le rythme de la danse, chantée a cappella par les trois légendaires chanteuses costarmoricianes treffrinoises, sont ici, dans cette version chantée et orchestrée, remplacées par les podorythmies et percussions qui lancent directement le rythme sur une nappe naissante suivie de ponctuations appuyées des claviers.
La puissante et souple voix d’Annie attaque le chant, les « la-la-la-la-la » marquent, semblables à la version traditionnelle, l’« hémistiche » de la deuxième phrase de chaque couplet.
Comme lorsque, il y a quelques décennie, l’on dansait pour tasser la terre, la transe de la gavotte s’installe, s’amplifie, sur une profonde basse électrique et de belles lignes de claviers, ne laissant réapparaitre que la rythmique au début du dernier tiers de l’exécution pour mieux préparer un dense final instrumental collectif qui, les applaudissements et les expressions orales de satisfaction le prouvent, enthousiasme le public.
Ces forts approbatifs battements de mains, sont malheureusement les derniers qui salueront l’e excellentissime prestation du quartet, concert que vous trouverez, de ce fait, trop court, bien que vos réservant plus de 50 minutes de référente écoute.
Nous émettrons un petit regret. Bien qu’espéré en écoutant l’ouvrante piste 1 de 14 secondes, titrée « Ba’ n dañs ! – Entrons dans la danse ! », où l’on entend, dans l’ambiance de la salle, quelques notes d’accord des musiciens et percevons la voix d’Annie donnant le signal de début de concert ; que l’enregistrement ne reprenne quelques narrations intercalaires de la chanteuse dont la capacité de raconter est, aussi, à inscrire aux nombreux talents de l’artiste, autrice, compositrice, interprète.
Dans la vidéo produite par Bleu Iroise, France télévisions, TVR, Tébéo, Tébésud, et enregistrée au Festival Youank, en 2021, titrée « Annie EBREL : Lellig - Sur les pas d’Anjela DUVAL », nous avions beaucoup apprécié ses incises explicatives ou contextuelles, en breton, puis français, tour à tour, dites, jouées, lues, voire susurrées, avec une présence théâtrale incontestable.
S’agissant d’un disque d’Annie EBREL, il nous parait inutile de vigoureusement vous inciter à vous le procurer, mais, sachez que ce 11e opus « live » à la très agréable et confortable particularité d’associer une chaleureuse ambiance interactive entre artistes et assistance, mais dans le cocon d’une intimité certaine et bienvenue due à la capacité raisonnable de la salle, impression sonore perceptible dans le rendu volumétrique mesuré, parfaitement restitué, des francs applaudissements et des enthousiastes réactions.
Insérez « An ebatoù » dans votre lecteur, vous serez ainsi, dans votre salon, au premier rang et bien au centre de celui-ci, pour écouter, avec un excellent relief acoustique et une mise en espace soignée, un quasi-concert privé… que vous pourrez renouveler à volonté.
Annie EBREL Quartet… « An ebatoù »… une pierre de plus à l’édifice pour la pérennité de la tradition bretonne !
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : Annie EBREL - Album An Ebatoù
Amourouzien seizh 'lâ' - Les amoureux de sept ans" - Extrait de 00:55.
Le site internet d'Annie EBREL :
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir site)
Les titres du CD d'Annie EBREL, « An Ebatoù » :
01. Ba'n dañs - Entrons dans la danse - 00:14.
02. Amourouzien seizh 'lâ' - Les amoureux de sept ans - 04:18.
03. Dañs an ivern - La danse de l'enfer - 06:01.
04. Ar verjelenn - La bergère - 04:31.
05. Ar c’hi daou droad - Le chien à deux pattes - 05:39.
06. Ar goukoug - Le coucou - 03:18.
07. Soubenn al laezh ar Fleurenn - La soupe au lait de la fleur - 06:51.
08. Pardon ar ganerien - Le pardon des chanteurs - 04:53.
09. Robardig - 05:48.
10. Gwilliou Ar blei’ - Gwillou le loup - 03:28.
11. Ar bennerezh - L'héritière - 05:16.
Durée totale : 50:17.
Annie EBREL: « An Ebatoù ».
Parution : 25 novembre 2025.
Distribution : ARFOLK
Référence : AR1228
© Culture et Celtie
Commentaires (0)
Aucun commentaire pour le moment. Soyez le premier à réagir !