Fiction brestoise

Partant d'une consigne d'atelier d'écriture en ligne, plusieurs femmes brestoises de tous horizons (une retraitée, une poétesse, une enseignante, une éducatrice spécialisée, une artisane, une céramiste...) écrivent de courts textes de fiction et se les envoient. Elles les partageront désormais avec vous ici. Aujourd'hui la consigne est la suivante : "Nouvel An 2021. Racontez."

31 décembre, dernier jour de 2020

C’était trente jours après son quarantième anniversaire de naissance. Ils roulaient vers l’Est, son compagnon, leurs trois enfants et elle, Solveig. Le soleil avait chauffé la voiture depuis leur départ de Brest.

D’un commun accord, ils décidèrent de passer leur CD de Air dans le lecteur. Ce disque acheté 100 Francs Pacifique quand ils traînaient dans les vide-greniers de Mélanésie. Ecouter un CD de cette époque de leur vie, rien qu'en tenir le boîtier entre leurs mains durant ces quelques secondes décisives avant que la première piste ne soit lue, que le son ne surgisse, c’était toujours un frisson particulier à expérimenter, jamais très loin du bouleversement. Un instant exaltant, vivant, le coeur au bord des larmes, les…

Ce son qui l’avait accompagnée lors de ses errances en voiture, au bord d'un lagon, clim en panne. Solveig eut envie de serrer la main de son fils avant que ce ne soit plus aussi aisé qu’aujourd’hui, aussi naturel. Avant qu’il n’ait huit ans. La musique les happa aussitôt : « Ça y est, les petits se sont endormis. » a dit Quentin. C’était lui qui conduisait. Solveig glissa son bras gauche vers l’arrière, entre les deux sièges, et saisit la main chaude et potelée d’Arthur.

Le ciel était noir devant eux, ils passaient près du Faou. Le bitume s’est couvert de gouttes de pluie, le pare-brise de la voiture aussi. « Il va y avoir un arc-en-ciel », a chuchoté Arthur.

Solveig se sentit alors submergée par la tendresse. « Quelle merveille », se dit-elle. « Un enfant ça pense ainsi… Ce garçon dont la seule attente en cette minute est l’apparition d’un arc-en-ciel, sa seule préoccupation. Le présent, et cet événement banal et grandiose que constitue l’arrivée imminente d’un arc-en-ciel. Quelle merveille ! » Elle vit Arthur tourner son regard du côté gauche, au-dessus du siège de son petit frère endormi, comme à l’affut d’un ange.

À la pluie succéda soudain la grêle. La musique planante, les souvenirs, les enfants, les émotions traversant les coeurs, le fracas de la grêle sur les vitres…

« Il est là ! » a chuchoté Arthur, ravi.