Un bassin de pierre à Brest
Un bassin de pierre à Brest

Partant d'une consigne d'atelier d'écriture en ligne, plusieurs femmes brestoises partagent leurs textes avec vous ici. Aujourd'hui la copie est la suivante : " Écrire sur le souvenir que tu gardes de l'un ou plusieurs des Noël de ton enfance. Des traditions familiales aux traditions régionales. De l’attente… Du merveilleux, de la magie (ou pas)."

Noël c’était parfois du rire, toujours teinté d’une ambiance religieuse, - puisque la crèche était installée au pied du sapin - et Noël était empreint de traditions car nous y tenions. Ma mère venant d’Alsace, on confectionnait des Bredele, ces petits biscuits traditionnels. Il en existe pas moins de quatre-vingts recettes différentes… Ce qui laisse le choix… Aux amandes, au beurre, au sucre, parsemé de cannelle ou d’anis étoilé, en forme d’étoiles justement, ou de rondins de bois… Le feu crépitait dans les cheminées et dehors on voyait mon père traverser la cour en pestant contre les bêtes et contre sa solitude de paysan en général, sa chienne fidèle néanmoins sur les talons.

Je culpabilisais : pourquoi devrais-je sortir pour « aider » à la ferme ? Moi qui aimais tant rester auprès du feu à cultiver une migraine ou à avaler ces kilomètres de pages imprimées trouvées dans les livres que j’arrachais au hasard des bibliothèques de la vieille maison. Mon grand-père avait fait bâtir celle-ci, un véritable cube, pendant l’Occupation. Quand il nous rendait visite il frappait du pied au sol et clamait : « ça c’est armé avec des rails de tramway ! Ouaip ! Et le ciment on en a volé des sacs aux Allemands, ça je peux te le garantir ! On en a détourné des camions ! » Je ne comprenais pas grand-chose à ces fanfaronnades, mais j’en garde un souvenir amusé et touché. Pauvre grand-père, veuf trop jeune et dont les beaux yeux bleus se mouillaient si souvent de larmes. Il était si émotif. Ma fille Anaëlle a ses yeux.

Retour en cuisine. Les truffes en chocolat sont de sortie. On les roulait dans le cacao sec : je revois le petit pot en silicone rouge qui ne servait qu’à recevoir la pâte à truffes, deux jours avant le 24 décembre. Je pourrais dessiner les plats de mémoire, les plats et assiettes, je veux dire, qui accueillaient les mets habituels. Mais un souvenir en particulier ? Oui, je suppose que c’est ce Noël où nous avions reçu pour cadeaux, mes frères et moi, des farces et attrapes en nombre. Excellente idée qui nous avait beaucoup amusés. Je repasse en mémoire les quelques photos prises lors du réveillon de cette année-là.

Affublée d’un dentier « de vampire » en plastique, je pose au pied du sapin, assise en tailleur. On devine une paire de chaussons neufs, qui était de rigueur à chaque Noël. Ils sont roses doublés de peau de mouton. Des peaux, il y en avait partout d’ailleurs. Mon père était éleveur, faisait tanner des peaux de mouton, des peaux de vache de race limousine, des peaux de taureau. Une année il y eut la première épidémie de « vache folle » et tout tannage cessa en France. C’est un peu triste. Mais au moins on aura connu ça. En guise d’attrapes mes deux frères reçurent un « verre baveur » et un « coussin péteur ».

Durant l’année qui suivit on joua des tours à tous nos visiteurs.

Le marchand de bestiaux, Monsieur Moutton (ça ne s’invente pas) but et bava tant qu’il put, tout gêné devant nous cinq à table. On s’esclaffa. Charles Le Gall devina tout de suite que ce n’était pas son postérieur qui éructait mais bien ce diable de coussin de caoutchouc. On cuisina des tas de fausses pâtisseries en farine dure, qu’on appelle aussi « pâte à sel ». Que l’on cuit puis que l’on peint et vernit. Elles avaient l’air fameux, appétissant, nos fausses pâtisseries. Chaque fausse cerise était rouge et brillante comme une pomme empoisonnée de Blanche-Neige. Chaque morceau d’angélique faux et vert acidulé. Chacune de nos victimes manquait de se casser les dents dessus mais on en rigolait bien.

Ce Noël d’inconscience fut celui des fou-rires, de l’âge bête, un Noël durant lequel on attrapa tous nos invités. Ce Noël fut un des premiers qui semblait moins « sérieux » que les précédents. Trente ans après j’ai envie de m’amuser pour Noël. Noël n’est pas sérieux, je le voudrais joyeux.