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- Communiqué de presse -
Procès Jérôme Kerviel/Société générale devant la cour d'appel de Versailles : Première audience - Premiers signaux préoccupants

Le nouveau procès en appel Jérôme Kerviel / Société générale s’est ouvert mercredi 18 juin à la cour d’appel de Versailles. « Ce sera le procès de la Société générale

Reun Coupa pour Comité de soutien à Jérôme Kerviel le 10/07/14 12:18

Monique GUELIN

Le nouveau procès en appel Jérôme Kerviel / Société générale s'est ouvert mercredi 18 juin à la cour d'appel de Versailles. « Ce sera le procès de la Société générale », avait déclaré Maître Patrice Spinosi, l'avocat de Jérôme Kerviel en cassation, le 19 mars, après que la haute juridiction ait cassé le volet civil de la condamnation de son client, estimant que la responsabilité des pertes que la banque affirme avoir enregistrées était partagée, et que, donc, Jérôme Kerviel n'aurait pas à en rembourser le montant intégral.

Il s'agit d'un procès au civil. Le volet pénal, que la Cour de cassation n'a pas remis en question, et qui, donc, est désormais clos face aux juridictions françaises - sauf imprévu, espéré par la défense, survenant en cours de procès -, ne sera pas abordé pendant les débats. Jérôme Kerviel a d'ailleurs commencé à purger sa peine de 3 ans d'emprisonnement, incarcéré depuis le 18 mai, d'abord à Nice, puis à Fleury-Mérogis.

Le but du nouveau procès est de rejuger le préjudice financier dont la Société générale s'est déclarée victime, et d'établir dans quelles proportions est engagée la responsabilité respective des 2 parties dans les prétendues pertes.

Quelle que soit la décision du tribunal sur ce point, le montant des dommages et intérêts qui seront réclamés à Jérôme Kerviel ne devrait pas atteindre la somme astronomique qu'avait fixée la cour d'appel de Paris en 2012 – si toutefois la cour d'appel de Versailles tient compte des recommandations de la Cour de cassation. Celle-ci a en effet rappelé que Jérôme Kerviel devra être en mesure de s'acquitter de sa dette au cours de sa vie, ainsi que le stipule la Convention européenne des droits de l'homme, à propos de toute réparation d'un préjudice financier, quel qu'en soit le montant ( (voir le site) ).

Selon Patrice Spinosi, « les fautes de la Société générale seront au c½ur du nouveau procès : la banque va devoir s'expliquer, et justifier ce préjudice exorbitant de 6,3 milliards d'euros qu'elle invoque » a précisé l'avocat ( ramenés à 4,9, une fois soustrait le gain de 1,4 milliards, engrangé par Jérôme Kerviel fin 2007). La justice, jusqu'à présent, s'est contentée, pour tout justificatif, d' « une simple feuille de format A4 », pour reprendre les termes d'Eva Joly. La cour d'appel de Versailles pourra-t-elle, dans le cadre de ce nouvel épisode judiciaire - après les reproches sévères adressés par la Cour de cassation à la cour d'appel de Paris -, s'abstenir de lancer l'expertise indépendante constamment réclamée, depuis plus de 6 ans, par la défense de Jérôme Kerviel, et systématiquement refusée par les juges, sur le montant détaillé des pertes que la banque certifie avoir essuyées ?

Une telle investigation, qui ne devra pas se limiter à l'examen du seul portefeuille de Jérôme Kerviel, nécessitera la reconstitution de l'exact déroulé des faits depuis le printemps 2007. Toute la lumière devra être faite sur les opérations de débouclage effectuées en 3 jours, en grand secret, par la banque, dans les jours qui suivirent l'éclatement de l'affaire en janvier 2008.

Une telle somme d'informations, indispensable à la manifestation de la vérité, est attendue avec espoir par la défense. En effet, la Société générale affirme n'avoir soldé que les positions spéculatives prises par Jérôme Kerviel au cours des 18 premiers jours de janvier 2008. Or la défense a, depuis 2012, recueilli des témoignages qui accusent la banque d'avoir aggravé le montant des pertes qu'elle impute exclusivement à Jérôme Kerviel, en liquidant, en même temps que les positions de celui-ci, celles de 3 autres traders ( (voir le site) ). De plus, la défense a des raisons de soupçonner la Société générale de n'avoir, en réalité, sur la durée, enregistré aucune perte. Par ailleurs, l'expertise, si elle est menée honnêtement, pourrait révéler, accessoirement, que la banque était au courant des agissements de Jérôme Kerviel - ainsi que celui-ci l'affirme énergiquement -, bien avant la date à laquelle elle prétend les avoir découverts.

Si une expertise démontre que la Société générale a menti sur ces différents points, alors c'est toute la version officielle de l'affaire qui s'effondre, et l'on irait bien au-delà d'une simple réévaluation des dommages et intérêts dûs par Jérôme Kerviel. Tel est le véritable enjeu de ce nouveau procès, qui pourrait déboucher, grâce à l'expertise, sur une mise en révision de la totalité du premier procès en appel – volet pénal inclus. Encore faut-il que la cour d'appel de Versailles se donne les moyens d'accéder à la vérité.

Les 2 parties en sont bien conscientes, et chacune avait, pour cette première audience, déplacé son équipe au complet : Maîtres Jean Veil, Jean Reinhart, et François Martineau, pour la Société générale ; Maîtres David Koubbi, Benoît Pruvost, son associé, et Julien Dami Le Coz, son collaborateur, pour la défense. Jérôme Kerviel avait été extrait de la prison, afin d'assister à l'audience. On l'a vu entrer dans le box réservé aux détenus, une image forte symbolisant la condamnation pénale, que la Société générale avait voulue, et dont le parquet lui fit le cadeau, en arrêtant Jérôme Kerviel précipitamment le 18 mai, l'audience approchant, alors qu'il disposait de 5 ans pour exécuter la peine. Malgré cette position, et bien que visiblement éprouvé par un mois d'enfermement, amaigri, Jérôme Kerviel n'avait rien perdu de sa dignité naturelle, apparaissant attentif et concentré.

L'audience, présentée comme purement technique, destinée à fixer un calendrier du procès, a, en réalité, donné quelques indices des dispositions dans lesquelles le nouveau tribunal s'apprête à traiter l'affaire. Sous une apparence affable et courtoise, le Président de la 9ème chambre à la cour d'appel de Versailles, Olivier Larmanjat, a, en 15 petites minutes, envoyé 2 signaux qui nous ont semblé de mauvais augure.

Le magistrat n'a pas fait obstacle à la demande d'expertise formulée par la défense, et ce, malgré les avis négatifs des autres protagonistes. Une fois de plus, le parquet, qui se devrait d'être impartial, montra son évidente collusion avec la Société générale. L'avocat général, repris mot pour mot par les avocats de la banque, déplora que la demande ne lui ait été transmise qu' « au dernier moment », et déclara qu'une expertise n'était, selon lui, « ni nécessaire, ni utile ». « Ils la ressortent en toutes circonstances », grogna Jean Reinhart, se référant notamment aux Prud'hommes. Et, comme pour indiquer la marche à suivre au nouveau tribunal, il rappela que « la justice l'a toujours refusée ».

Sollicité par le Président, Jérôme Kerviel affirma pour sa part qu'une telle expertise, qu'il a réclamée en vain à la justice depuis plus de 6 ans, était « primordiale pour la défense », et qu'il était convaincu « qu'elle révélerait que la banque n'a pas perdu d'argent ».

Ce premier geste du Président Larmanjat ne doit pas nous abuser. La cour pouvait difficilement ouvrir le procès sur un rejet pur et simple de l'expertise, sauf à afficher une partialité trop criante. Rien, cependant, n'est encore acquis : la demande d'expertise sera débattue le 17 septembre. Les 2 parties ont 3 mois pour préparer leurs arguments, peaufiner leurs plaidoiries, et ce n'est qu'à l'issue de celles-ci que le Président fera connaître sa décision sur ce point préalable. Dans le cas où celle-ci serait positive, il faudra, avant d'envisager un examen du dossier sur le fond, fixer une autre date. Un délai trop bref nous renseignera sur les véritables intentions de la cour : une expertise fouillée et approfondie demandera du temps.

Une autre question préoccupe la défense : peut-on espérer trouver des preuves matérielles conservées en l'état, après que plus de 6 années se soient écoulées ? Rappelons ces 5 jours de janvier 2008, pendant lesquels, l'affaire n'ayant pas été rendue publique, la banque a eu tout le loisir de procéder, avant toute perquisition, à un grand nettoyage de ses ordinateurs.

Il existe cependant des éléments de preuves qui n'ont pas pu être définitivement détruits à ce jour. Les courriers électroniques échangés entre la Société générale et sa fililale de courtage, la Fimat, qui exécutait les ordres boursiers de Jérôme Kerviel, constituent une mine d'informations primordiales, que la défense voudrait bien voir explorées au cours de l'expertise, si elle a lieu. Car de tels courriels conservent des traces précises de toutes les transactions effectuées par Jérôme Kerviel pendant l'année 2007 et début 2008.

Or la défense a des raisons de se méfier. En effet, un témoin, alors responsable de la gestion de la messagerie informatique de la Fimat, interrogé par la brigade financière, au cours de l'été 2012, a révélé que l'un de ses supérieurs lui avait demandé, à Noël 2007, s'il était possible de supprimer des mails sans que leur trace puisse être retrouvée. Un autre témoin, resté anonyme, avait affirmé, un mois auparavant, dans une déclaration écrite adressée à la cour d'appel de Paris, pendant la tenue du procès, que des mails, datés 2007, compromettants pour la banque, avaient été effacés ( (voir le site) ).

Un risque de destruction par la banque de telles données probantes est donc réel. S'il s'est concrétisé, on pourrait cependant retrouver la trace de certains de ces mails effacés. En effet, selon S. P., ex-salarié à la Fimat, tous les mails envoyés ou reçus par une messagerie Fimat étaient, à l'époque des faits, sauvegardés pendant 7 ans au centre de traitement mondial de la Fimat, à Chicago, dans un serveur inviolable, nommé Zantaz. 7 ans ! Les courriels des 5 premiers mois de l'année 2007 ont donc déjà disparu. Ceux de juin 2007 seront effacés dans le serveur dans quelques jours, et ainsi de suite, régulièrement, mois après mois, si aucune mesure conservatoire n'est prise par la justice.

La situation est donc critique. C'est dans un tel contexte que la défense avait complété sa demande d'expertise par une demande d'injonction à la Société générale de procéder à la conservation de tels éléments de preuves, afin qu'ils puissent être analysés dans le cadre de l'expertise.

Le Président Larmanjat a refusé de retenir cette seconde demande. Des pièces d'un intérêt majeur pour la connaissance des faits seront donc définitivement perdues, si la défense ne trouve pas rapidement un moyen de reformuler sa demande…. et d'obtenir satisfaction.

Comment interpréter le refus d'Olivier Larmanjat ? Pour unique motif de son rejet, il a reproché à la défense d'avoir déposé la demande d'injonction « au dernier moment ». Et alors ? L'audience du 18 juin avait pour but de fixer une date. Les avocats de la Société générale et l'avocat général disposaient alors de 3 mois pour étudier le contenu des demandes, avant d'en débattre le 17 septembre, ou même à une date ultérieure, si nécessaire. On voit clairement que le Président s'est saisi d'un prétexte, pour refuser d'accéder au souhait, pourtant justifié, de la défense. Que penser, alors, des véritables motivations de ce magistrat qui, au seuil d'un procès dont on attend qu'il mette enfin de la lumière dans un dossier maintenu opaque pendant plus de 6 ans, se prive délibérément, pour des raisons de pure forme, de documents matériels aussi précieux pour une justice qui serait déterminée à mettre au jour la vérité ? Quelle impartialité pouvons-nous attendre de la part de la nouvelle cour, après une prise de position aussi partisane, dès le premier jour du procès ??!

Un second indice des intentions véritables, pas franchement impartiales, du nouveau tribunal, a été révélé par une remarque dont David Koubbi fit part à la cour à la fin de l'audience. L'avocat avait reconnu, en un auditeur de justice assis à la gauche du Président, en qualité de magistrat stagiaire, un membre de l'équipe de défense de la Société générale, qui, alors stagiaire dans le cabinet de Me Jean Veil, avait assisté, à l'extrémité du banc de la partie civile, à toutes les audiences du procès en appel de juin 2012. « Par quel hasard cet homme se trouve-t-il aujourd'hui dans cette position ? » s'étonna Me Koubbi.

Se voulant rassurant, Olivier Larmanjat affirma que le stagiaire désigné « ne figurait pas dans la composition de la cour et qu'il ne serait pas amené à juger cette affaire ». Soit. Cependant, l'article 19 de l'ordonnance du 22 septembre 1958 précise que « participer avec voix consultative aux délibérés des juridictions correctionnelles » constitue l'une des prérogatives des auditeurs de justice. Le stagiaire, donc, ne votera pas, mais il pourra donner son avis. Est-ce admissible ? Un juge intègre accepterait-il une situation aussi malsaine, aussi dommageable pour la défense : la présence d'un émissaire de la Société générale au c½ur même du dispositif décisionnel ?

Au final, le bilan de cette première audience ne nous donne pas de réelles raisons d'être optimistes quant au procès qui s'engage. Pouvons-nous raisonnablement espérer que le procès de la Société générale, annoncé par Patrice Spinosi, ait enfin lieu à la cour d'appel de Versailles ? Que Jérôme Kerviel ait enfin droit à un procès équitable ? Ou bien allons-nous repartir dans une parodie de procès dont les résultats sont peut-être déjà pliés ? La justice française a-t-elle en réalité définitivement choisi, pour son déshonneur, de se ranger dans le camp de la banque toute-puissante - la décision de la Cour de cassation n'ayant été qu'un intermède sans suite ?

La colère nous prend. La tâche de la défense est trop écrasante. Certes nous savons pouvoir compter sur la pugnacité de David Koubbi, sur sa solidité à toute épreuve, sur son ingéniosité, et sur le courage qu'il déploie dans ce combat qu'il est déterminé à mener jusqu'au bout – c'est-à-dire jusqu'à la réfutation de l'abus de confiance. Mais parviendra-t-il à atteindre un tel objectif, malgré son travail acharné ? Car les obstacles sont de taille et la lutte est inégale, face à un géant soutenu par l'institution judiciaire, qui interdit catégoriquement, depuis plus de 6 ans, l'accès à des preuves.

On sait que l'équipe de défense a été contactée, depuis le procès parisien en appel, par plusieurs témoins dont les contributions seraient décisives. Mais ceux-ci réussiront-ils à se rendre jusqu'à la barre, sachant que leur vie pourra, ce jour-là, en quelques minutes, basculer ? Car on ne s'attaque pas impunément à la Société générale. Qu'on se rappelle le sort réservé à Philippe Houbé, qui, ayant eu ce courage exemplaire, en juin 2012, a, sitôt après, été licencié. François Hollande n'a pas répondu à la demande que lui a faite Jérôme Kerviel le 17 mai dernier, depuis Vintimille, d'accorder l'immunité pour les personnes qui pourraient témoigner en sa faveur, « afin qu'elles puissent parler librement et dénoncer les dysfonctionnements qui ont eu lieu dans ce dossier ». Une telle mesure est pourtant, dans les circonstances présentes, une condition essentielle d'un procès équitable, qui respecterait les droits de la défense.

Oui la colère nous prend. Un espoir subsiste-t-il que cette affaire soit jugée enfin en France en toute indépendance, ou bien Jérôme Kerviel et sa défense devront-ils, pour que la vérité soit dite, la porter hors de l'hexagone, face à une justice digne de ce nom ?

Nous aurons une idée du sens dans lequel s'oriente la réponse, le 17 septembre.

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Responsable culturel (culture et langue bretonnes). Initiateur du comité de soutien à Jérôme Kerviel.
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