Jean-Louis Borloo par Jacques Witt  CC-BY-SA 4.0 Wikimedia
Jean-Louis Borloo par Jacques Witt CC-BY-SA 4.0 Wikimedia

Le fédéralisme n’est plus une marotte de quelques partis régionalistes. Selon un sondage IFOP rendu public le 25 août 2025, 71 % des Français se disent favorables à ce que la France devienne fédérale et renforce considérablement le pouvoir des régions. « C’est une défiance vis-à-vis de l’État », résume l’institut. En Bretagne historique, ce soutien grimpe à près de 80 %, et à plus de 85 % en Alsace.

Le fédéralisme n’est plus une marotte de quelques partis régionalistes. Selon un sondage IFOP rendu public le 25 août 2025, 71 % des Français se disent favorables à ce que la France devienne fédérale et renforce considérablement le pouvoir des régions. « C’est une défiance vis-à-vis de l’État », résume l’institut. En Bretagne historique, ce soutien grimpe à près de 80 %, et à plus de 85 % en Alsace.

Depuis son essai « L’alarme », mis en ligne gratuitement en 2022 , Jean-Louis Borloo tire le signal d’alarme sur une France qu’il juge « désorganisée », paralysée par un « millefeuille territorial » devenu ingérable. Récemment, l’ancien ministre est revenu au premier plan avec des propos plus radicaux que dans son texte initial, parlant ouvertement de « République fédérale à la française » et de provinces historiques fortes. De quoi intéresser directement des territoires comme la Bretagne, laissée à l’écart de la réforme territoriale de 2015.

Un État qui fait tout… et n’y arrive plus

Dans « L’alarme », Borloo dresse un inventaire brutal de l’organisation française : 13 régions, 101 départements, 35 000 communes, 22 métropoles, plus de 1 200 intercommunalités, sans compter agences, caisses et autorités diverses. Au total, pas moins de sept échelons politico-administratifs se partagent les politiques publiques. Tout le monde fait un peu de tout, et personne n’est vraiment responsable.

Contrairement à ceux qui prônent simplement « moins d’État », Borloo plaide pour « mieux d’État ». Il veut un État recentré sur le régalien : sécurité, justice, défense, diplomatie, grandes infrastructures nationales et garantie d’un socle commun en matière de santé et d’éducation. Mais tout le reste – logement, aménagement, éducation, politique de la ville, santé au quotidien – devrait selon lui être confié à un autre niveau de pouvoir.

Des régions ? Non : des provinces

C’est ici que le vocabulaire change. Borloo ne parle pas de renforcer les « régions », mais de confier l’essentiel des politiques non régaliennes à des « provinces » dotées de compétences « pleines et entières », d’un véritable pouvoir normatif et de ressources propres. On notera qu’il ne parle pas de régions, mais bien de « provinces ». Clin d’œil assumé à l’Ancien Régime, où les provinces géraient beaucoup de choses.

Le terme « province » renvoie clairement à un ancrage historique plus ancien que celui des grandes régions administratives. Dans certaines prises de position relayées notamment par des mouvements régionalistes s’appuyant sur ses interviews, ces provinces sont décrites comme fondées sur leur « périmètre historique » : Alsace, Lorraine, Provence, Bretagne… C’est une manière implicite de prendre ses distances avec la réforme qui a englouti l’Alsace dans le Grand Est et laissé la Bretagne incomplète.

Que deviendraient les départements ?

Dans le texte de 2022, Borloo ne dit pas noir sur blanc qu’il veut « supprimer les départements ». Ils apparaissent encore dans le diagnostic et dans quelques schémas de gouvernance. Mais son architecture réelle repose sur un binôme simple : État fort sur le régalien, provinces fortes sur la vie quotidienne.

Dans ses propos de 2025, il répète que la France est « l’organisation publique la plus émiettée au monde » et que le pays ne peut plus fonctionner avec sept couches différentes pour une même politique. Il parle de « renverser la table » institutionnelle et d’attribuer chaque mission à un seul niveau de décision. De fait, cela revient à fusionner l’échelon régional et l’échelon départemental dans ces provinces.

La rupture borloosienne, c’est l’idée qu’une mission doit correspondre à un seul niveau responsable et que l’État s’occupe uniquement du régalien. C’est le cas de la plupart des pays qui entourent la France, et qui, cela ne peut être un hasard, s’en sortent globalement mieux qu’elle.

Un Borloo de plus en plus radical

Jean-Louis Borloo est souvent plus direct sur les plateaux télé que dans son texte de 2022. Voir son interview sur LCI : ou sur Sud Radio .fr/linvite-politique/jean-louis-borloo-il-faut-mettre-en-debat-la-republique-federale-a-la-francaise

Il décrit une France atteinte de « polyarthrite bureaucratique », un pays « en train de ne plus être un pays » si rien ne change. Des journalistes résument désormais son projet comme une « République française fédérale » fondée sur des provinces historiques ; il ne les contredit pas.

C’est donc dans la combinaison des deux – l'essai de 2022 et les interviews de 2025 – que l’on comprend le mieux sa proposition : un État resserré sur le régalien, des provinces historiques fortes, la fusion de fait des niveaux région et département, et la fin du tout-puissant jacobinisme centralisateur qui a favorisé une « république des copains ».

Ce que changerait une province Bretagne

Appliqué à la Bretagne, le schéma de Borloo serait une petite révolution. Une province Bretagne disposant d’un vrai pouvoir normatif et de ressources propres pourrait, sur ses cinq départements historiques, en théorie :

  • définir une politique linguistique cohérente pour le breton, le gallo et le français dans l’éducation, les médias et la signalisation, avec l’officialisation de la langue bretonne et l’enseignement de l'histoire de la Bretagne à côté de l'histoire de France ;
  • organiser de manière intégrée l’urbanisme, le logement, les transports du quotidien et la transition énergétique, en coordonnant tramways, bus et liaisons ferroviaires régionales ;
  • prendre la main sur la gouvernance de la santé et l’implantation hospitalière à l’échelle bretonne ;
  • conduire une politique économique, agricole et maritime adaptée aux réalités du territoire et à la protection de l'environnement.

Dans le sondage IFOP du 25 août 2025, 78 % des habitants de la Bretagne historique se déclarent favorables à une France plus fédérale et à un renforcement considérable du pouvoir des régions. En Alsace, ce soutien atteint 86 %. Autrement dit, les territoires qui ont été les plus maltraités par la carte de 2015 sont aussi ceux où l’option fédérale recueille les scores les plus élevés.

Pour la Bretagne, l’Alsace ou la Corse, l’intérêt de ce débat est évident. De petits partis comme l’UDB, qui prône l'autonomie depuis 60 ans, ou le Parti Breton dans un récent communiqué prônent cette dévolution depuis longtemps, rejoints plus récemment par YES BREIZH

. Certains voient dans la « solution Borloo » une forme de généralisation de la future autonomie de la Corse.

Pour la première fois depuis longtemps, un responsable politique de premier plan, ancien ministre, met sur la table, sans détour, l’idée de provinces puissantes et d’une République fédérale assumée. Aux peuples concernés de s’en emparer – ou non, car le dernier carré des jacobins monte aux créneaux.

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