
Cette reconnaissance intervient alors que les Cornouailles seront invitées d’honneur du Festival interceltique de Lorient 2026, dont le thème sera « La Cornouailles, au cœur de la mer Celtique ». Du 31 juillet au 9 août 2026, la 55e édition du FIL mettra donc tout particulièrement en lumière la culture et la langue corniques, onze ans après la dernière édition consacrée à ce pays celtique.
Londres / Truro, 1er décembre 2025
Selon le The Guardian, la langue cornique (kernewek) va bénéficier du plus haut niveau de protection accordé par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le gouvernement britannique a décidé de la faire passer sous le régime de la partie III de la Charte, qui s’applique déjà au gallois, à l’irlandais et au gaélique écossais.
Concrètement, ce statut impose aux autorités publiques de promouvoir activement la langue dans l’éducation, la justice, l’administration, les médias, la vie culturelle, économique et sociale, sous le contrôle du Conseil de l’Europe. Les citoyens doivent notamment pouvoir utiliser la langue protégée dans certaines procédures juridiques et dans le système éducatif.
Selon les derniers recensements, seulement 563 personnes ont déclaré le cornique comme langue principale, mais les spécialistes estiment que le nombre réel de locuteurs est bien plus élevé. Cornwall Council évalue entre 2 000 et 5 000 le nombre de personnes capables de parler au moins un cornique de base, un chiffre en hausse constante.
Malgré son classement actuel comme langue « gravement menacée » par l’UNESCO – après avoir été un temps considérée comme « éteinte » – le cornique connaît une véritable renaissance. En 2024-2025, le dictionnaire en ligne a enregistré plus d’un million de recherches et l’équipe linguistique du conseil a répondu à plus de 650 demandes, traduisant plus de 32 000 mots en kernewek, soit une hausse de 22 % en un an. Chaque année, plus de 200 personnes s’inscrivent à des cours de cornique, et près de 6 000 élèves de primaire suivent le programme « Go Cornish for Primary Schools ».
La chanteuse cornique-galloise Gwenno Saunders, plusieurs fois nommée aux prix Mercury, a largement contribué à la visibilité de la langue en enregistrant des albums entièrement en cornique et en appelant à un enseignement plus large de la langue auprès des enfants du sud-ouest de l’Angleterre.
Leigh Frost, leader du Cornwall Council, s’est félicité de cette décision : pour lui, c’est « une excellente nouvelle pour les Cornouailles » et un message clair que la langue cornique « mérite le niveau le plus élevé de soutien et de protection ». Dick Cole, président du Fifth Nation Working Group, souligne que le cornique va désormais disposer du même statut que les autres langues celtiques du Royaume-Uni et appelle Londres à travailler avec la population de Cornouailles pour mieux soutenir la langue et aller vers une dévolution plus significative.
Cette avancée intervient dans un contexte de revendications politiques croissantes en Cornouailles. ABP avait déjà rendu compte, le 14 septembre 2025, d’une manifestation à Truro pour réclamer un Parlement dévolu aux Cornouailles, alors que le projet de loi English Devolution and Community Empowerment Bill était débattu à Westminster (« Manifestation à Truro (Cornwall) pour un Parlement dévolu »
. Cette mobilisation articulait déjà la question de l’autonomie institutionnelle et celle de la reconnaissance de la langue cornique.
Manifestation à Truro (Cornwall) pour un Parlement dévolu
Les quatre députés travaillistes cornouaillais, élus en 2024, ont joué un rôle central dans cette évolution, en multipliant interventions et démarches auprès des ministres. Le député Perran Moon, élu de Camborne, Redruth et Hayle, insiste sur la dimension symbolique de cette décision cpmme rapporté dans le Cornish times :
« This is a huge win, first and foremost to those people across Cornwall who truly care about protecting and nurturing the Cornish language. »
Il rappelle qu’il utilise le kernewek au début de presque toutes ses interventions à la Chambre des communes et souligne que le gouvernement travailliste « a écouté les quatre députés cornouaillais et a tenu parole ».
Cette reconnaissance linguistique s’inscrit aussi dans un moment fort des relations interceltique : les Cornouailles seront l’invité d’honneur du Festival interceltique de Lorient 2026. La 55e édition, du 31 juillet au 9 août 2026, mettra tout particulièrement en lumière la culture et la langue corniques, prolongeant des liens déjà anciens entre Bretagne et Cornouailles.
Vu de Bretagne, le contraste est saisissant. Le Royaume-Uni a non seulement ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais il l’applique désormais à quatre langues celtiques (gallois, irlandais, gaélique écossais et cornique) avec les garanties fortes de la partie III. La France, elle, s’est contentée de signer la Charte en 1999 sans jamais la ratifier, après une décision du Conseil constitutionnel jugeant certaines clauses contraires à la Constitution – une situation figée depuis plus de vingt-cinq ans.
La langue bretonne demeure ainsi sans statut officiel, ni même de véritable statut juridique protecteur, alors qu’elle est la seule langue celtique vivante à ne pas être reconnue comme langue officielle ou régionale par un État. Plusieurs rapports et études rappellent que le breton n’a aucune reconnaissance dans le droit interne français et qu’il est lui aussi classé comme langue menacée par l’UNESCO.
Au moment où les Cornouailles franchissent une étape historique pour leur langue, cette décision britannique ne peut qu’alimenter, en Bretagne et ailleurs en France, le débat sur la ratification de la Charte des langues minoritaires et sur la nécessité d’accorder enfin au breton – ainsi qu’aux autres langues historiques de l’Hexagone – un statut comparable à celui dont bénéficient désormais les langues celtiques au Royaume-Uni.
Commentaires (12)
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Le chiffre de 2000 néo-locuteurs était déjà évoqué en 2016, la bonne nouvelle étant que la tendance se confirme ou se raffermit. Cela dans un environnement anglophone natif. De quoi donner à réfléchir à ceux qui, en Bretagne continentale, et à propos d’enseignement des langues, estiment que seule une langue à grande diffusion pourrait être utile (aspect pratique) ou avoir droit de cité (aspect politique). La Grande-Bretagne (avec le Pays-de-Galles, l’Ecosse et désormais le Cornwall) nous indique clairement qu’une autre voie est possible, et que le désir des populations de maintenir leur culture, notamment via une langue, peut être respecté. Cela s’appelle la démocratie.
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La décision fondamentale et historique en faveur du « Kerneveureg » (nom breton de la langue cornique) renaissant ne peut qu’être encourageante et signe d’espoir pour les défenseurs de la langue bretonne, globalement très malmenée dans notre péninsule. Elle montre surtout qu’un véritable soutien institutionnel et politique est possible et nécessaire pour toute langue native. L‘Assemblée nationale française, et bien sûr, le Conseil régional de Bretagne devrait s’en préoccuper effectivement et plus efficacement.
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Autre chose, la page wikipedia sur le Cornique, nous indique qu’une orthographe standard a été adoptée en 2008, fusionnant ou résultant des trois orthographes jusqu’alors présentes (les deux plus récentes datant des années 1980’s). Ainsi, en à peine une trentaine d’années, nos amis d’outre Mor Breizh auront été capables de se mettre d’accord sur un point déterminant. En Bretagne, parallèlement, certains semblent encore rêver d’une orthographe idéalement adaptée à leur petit terroir ou canton, oubliant que c’est au locuteur instruit (« an den desket », dre ar skol just a-walc’h) de faire preuve de « compétence linguistique », c’est-à-dire d’effectuer la passerelle entre l’écrit (forcément standard) et l’oral qui peut présenter - c’est inévitable, y compris dans les langues à grande diffusion - des variations ou des fluctuations observées dans l’espace (effet local ou dialectal) ou dans le temps (effet générationnel), voire liées au paramètre sociologique(effet niveau de langage). Paradoxalement, de telles variations sont parfois peu ou prou reprises à l’écrit par certains auteurs (la littérature française contemporaine, elle-même, n’y échappe pas) qui entendent se démarquer du classicisme. Preuve qu’une langue, fut-elle remarquable par sa simplicité native (cas du breton), se présente comme un objet quelque peu protéiforme ou aux reflets variés.
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Enfin, s’agissant de Dolly Pentreath (1692-1777) réputée être la dernière locutrice native du Kernewek/Kerneveureg, je voudrais dire, comme cela m’est arrivé, que se trouver face à la stèle mémoire d’une ultime locutrice est un moment émouvant. Mais la plus belle stèle que l’on peut offrir à une langue est de la parler, de l’écrire, de l’utiliser – au moins dans certains domaines - comme support ou moyen d’expression de la pensée.
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Ra vevo ar c’herneveureg, ra vevo ar brezhoneg, ar c’hembraeg, hag ar yezhoù keltiek all, koulz hag an holl yezhoù ganet e donder an istor, war hon boull-douar.
Les nôtres sont là pour geler, anesthésier et reporter aux calendes grecques les doléances type réunification, langue. C'est évident, non ?
Aberfal (Falmouth)
Porth Ia (St Ives)
Et l'explication en est simple : ce sont des territoires historiques et de tailles raisonnables où peuvent donc s'épanouir la démocratie et la liberté. L'UE c'est forcément de par sa taille de plus en plus de coercitions, une fuite en avant géographique également qui amène à entrer de plus en plus conflits avec un "étranger proche".