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La Tramontane — DENEZ (DENEZ "Toenn-vor - Chants des sept mers".)

Nouvel album « Toenn-vor - Chants des sept mers », un hommage à la mer, suspendu dans le temps... (ARFOLK).

Ce présent événement discographique semble apparaître, certes, quant à son thème, quelque peu, inattendu. Pourtant, selon certaines sources bien informées, il y a une trentaine d’années que DENEZ avait, déjà, commencé à travailler sur un tel projet qui mettrait en valeur le riche répertoire de la Bretagne maritime.
Mais emporté par un succès, toujours plus large et croissant, les accaparants et multiples engagements de l'époque, comme les Transmusicales de Rennes, les immenses concerts au Stade de France, à Bercy, les forts nombreuses tournées à travers le monde…, l’iconique chanteur breton natif de la côte sauvage du Haut-Léon, sise à l'extrême nord-ouest de la péninsule, à, pendant d’intenses années, été contraint de surseoir à la concrétisation de cette viscérale intention artistique, voire à s’en détourner.

Jaquette du CD de DENEZ -  Toenn-vor - Chants des sept mersJaquette du CD de DENEZ - Toenn-vor - Chants des sept mers © photographe

A ce jour, à l’aube de ses 60 ans, après, durant des années, une foison de concerts, enrichi des multiples rencontres qui ont jalonné son créatif, brillant et pérenne parcours, l’artiste finistérien et éternel jeune homme à la tessiture vocale unique, l’incontestable et emblématique figure de la musique bretonne chantée, souhaitait, pour son 13ème opus, réaliser cette tant espérée ode à la mer, fascinant élément onirique, mais aussi lieu de drames, avec laquelle le chanteur léonard entretient, depuis l’enfance, un lien intime, quasi organique.
Né à Santec, dans le Finistère, DENEZ a, en effet, grandi, au rythme des ports, des bateaux, des marins, du phare de l’île de Batz…

Produit par le label breton indépendant ARFOLK, DENEZ publie « Toenn-vor - Chants des sept mers ». Toenn-vor : comme toit de mer, déferlante submersive ou vague scélérate, en breton.

Durant d’attractives et prenantes 73 minutes, peignant, de son transcendantal chant, une vibrante fresque musicale maritime contemporaine, DENEZ propose des gwerzioù, complaintes, ballades, ronds de la côte, chants de bord, chants de travail, déclinant, ainsi, du chant à ramer, à hisser, à haler, alternativement interprétés en langue bretonne et française.

L’iconique chanteur breton reprend, ici, certaines pièces classiques traditionnelles du monde maritime, mais, conjointement, des titres bien moins connus. Comme toujours, ô combien respectueux du patrimoine traditionnel, mais demeurant constamment, au fil de son riche parcours artistique, tout aussi prospectif, DENEZ ne souhaitait pas reproduire simplement le passé, mais donner à cette sélection de chants de mer enracinés, nous devrions dire, profondément immergés, une couleur résolument avant-gardiste fondée sur l’utilisation de technologies sonores contemporaines et électroniques et d’instruments actuels dialoguant avec des instruments traditionnels universels.

Pour réussir une telle pluralité musicale aux contours variés, ciselés et, souvent, teintés de World-music, DENEZ s’est, pour accompagnants collaborateurs et invités, entouré de remarquables musiciens issus d’univers variés, dont, pour beaucoup, vous avez déjà croisé les noms, au fil de nos différentes chroniques, auprès de DENEZ et/ou exprimant leurs réels talents au travers de formations, qui fondent, notamment, la nouvelle scène bretonne.

Pensant, amis fidèles visiteurs, que vous envisagerez, ainsi, plus précisément toutes les subtiles colorations instrumentales stylistiques et rythmiques qui enrichissent considérablement ce programme, nous vous les citons, selon leur ordre d’entrée en scène, s’agissant d’un Compact-Disc, pourquoi ne pas dire, d’entrée en « piste », en précisant l’indice des morceaux au cours desquels ils interviennent, ainsi que quelques noms de formations auxquelles ils participent :

- Jean Michel MOAL, accordéon chromatique (1). Accordéoniste nantais, compositeur et arrangeur de culture bretonne, il est principalement connu comme cofondateur du groupe RED CARDELL.
- Antoine LAHAY guitare manouche et électrique (1), saz turc, charango des Andes (3). oud arabe (10) (DENEZ, EBEN).
- Julien STEVENIN, contrebasse (1-5), basse électrique (2-13) – (EBEN, ISTAN TRIO, LE GALL CARRE MOAL, STARTIJENN).
- Hibu CORBEL, batterie (1-2-3) Savenaisien (44-Bzh), il collabore, notamment, avec Robin FOSTER – (RED CARDELL).
- Robin FOSTER, guitare électrique (1). Guitariste et composteur britannique, devenu Camaretois, dans les années 90.
-Tibo NIOBE, cornemuse écossaise- (2-15), guitare électrique et acoustique (15) – (DENEZ, O’TRIDAL, PEVARLAMM).
- Christelle BELALIA, claviers et programmations (2-8-9-11), bouzouki (9-11).
- Jonathan DOUR, violon (3-7-10) – (DENEZ, EBEN, DOUR/LAVIGNE, SEIM).
- Romain DUBOIS, claviers, programmations (4-5-10-14), piano (5-14), – (FLEUVES).
- Jean-Baptiste HENRY, bandonéon argentin (4-9-10-13-15).
- Kentin JUILLARD, percussions (4-5-10-15) – (O’TRIDAL).
- Etienne CHOUZIER claviers, programmations (7) – (BAGAD DE VANNES « Melinerion »).
- Sergio RABELLA, cordes (7).
- Stéphane KERIHUEL, guitare électrique (8-9) ) – (Nolwenn KORBEL Trio, TREI(Z)H).
- Yeltas GUENNEAU, duduk arménien (10), uillean-pipe irlandais (11) – (O’TRIDAL),
- Jean-François DUMAS, multi-instrumentiste quebébecois, guimbarde, banjo, podorythmie (12).

Côté vocal, toujours dans l’ordre d’entrée, le chant de DENEZ est, tour à tour, « escorté » ou, en réponse, « acquitté », par :

- Le trio Mathieu HAMON, Roland BROU, Charles QUIMBERT (6-12).
- Christelle BELALIA (11).
- Marion GUEN, Katell KLOAREG, Faustine AUDEBERT (8-12) – (KAOLILA).

En ouverture de « Toenn-vor », DENEZ nous met, de suite, si nous osons le dire, l’écrire, « dans le bain », en interprétant, en français, un grand classique du chant de mer qu’est la complainte traditionnelle, « La tramontane ».
Souvenez-vous :

« Je n'irai jamais à la pêche
Parce que je suis un peu boiteux
Ce n'est pourtant ce qui m'empêche
D'aimer la mer comme mes yeux.
Lorsque j'y pense mon cœur chavire
Je n'aurai jamais mon bateau
Je taillerai petit navire
Dans du liège avec mon couteau
».

Refrain :
« Et pourtant...
Je suis content quand on entend chanter une sardane,
Je suis content quand on entend crier le goéland
Je suis content quand on entend souffler la Tramontane
Je suis content quand on entend siffler le vent d'Autan.
»
[…/…]

A la simple attentive lecture de ces quelques paroles, nombre d’entre vous « entendrons » la voix grave et puissante du chanteur lorientais Mikaël YAOUANK (1948-2020), en 1970, co-fondateur, avec Michel TONNERRE (1949-2012), du groupe de chants de marins, DJIBOUDJEP.
C’est, en effet, en 1974 que Mikaël a popularisé ce chant, parfois, aussi appelé « La sardanne », en l’enregistrant, sur l’un de ses deux disques publiés sous son seul nom, mais, entre autres, entouré de ses amis de DJIBOUDJEP.
Dans une interprétation virile, propre au style, « La tramontane » figure en 2ème plage de la face B du vinyle 33 tours, intitulé « Chants de marins », publié, alors, chez l’ARFOLK (1) de l’époque (rappelez-vous, pour les plus anciens…l’iconique logo avec le triskell !).
Avec sa voix céleste qui épouse les voûtes, DENEZ nous en livre, ici, une magnifique et très personnelle version, plus poétique, incantatoire, mémorielle. Très bel hommage à Monsieur YAOUANK et à DJIBOUDJEP, dont, comme pour le groupe CABESTAN, DENEZ salue le brillant savoir faire en la matière.

Pour CABESTAN, groupe de musiciens et chanteurs bretons fondé en 1982, à la suite d'un enregistrement de chants traditionnels destiné à une anthologie éditée par le Chasse-marée, DENEZ, nous ne dirons pas, reprend, mais recolore, réinvente, en piste 13, le traditionnel « Gabier de Terre Neuve », avec une dramaturgie amplifiée par la plainte du bandonéon argentin de Jean-Baptiste HENRY.
Dans le livret, DENEZ précise qu’il avait entendu cette version interprétée par, l’un des membres de la formation, Bernard SUBERT et que « L’air de valse qui conclut le chant est une composition personnelle. »

Au sein de cet album, figurent de telles références maritimes patrimoniales, mais aussi, nombre d’autres traditionnels de mer plus confidentiels, parfois oubliés, voire inconnus, tous adaptés par DENEZ.

Dès la deuxième piste, vous pourrez découvrir, aussi, un texte totalement original qui figure, par ailleurs, dans son livre « Gwerz Denez », paru aux Editions Ouest-France.
Dans le livret, il est, en quelque sorte, préfacée par ces paroles de DENEZ :

« Quiconque irait à l’église de Kerskamp
Verrait trois noms gravés sur l’autel.

Trois noms dans le granit sombre
Les noms d’un anglais
Et de deux français.

Pourquoi donc ? Nul ne le sait
Ils m’ont inspiré un chant.

Ils m’ont inspiré une Gwerz
Approchez pour l’écouter
Elle n’est pas très longue.
»

Cette gwerz relatant une mer historiquement conflictuelle et mortifère, titrée « Tri ano – Trois noms », est portée par une composition originale co-signée par DENEZ, Robin FOSTER et Tibo NIOBE.
Sur une base électro, la voix narrative, puis délicieusement réverbérée de DENEZ, la guitare électrique de Robin FOSTER et la cornemuse écossaise de Tibo NIOBE, rejoignant les claviers de Christelle BELALIA, conjuguent, de l’électro-rock au quasi-symphonique, leurs sonorités, couleurs et ponctuations « celtisantes » pour mieux dépeindre cette funeste toile historique. Dramatique narration où, selon la traduction en français figurant dans le livret, le texte additionne les mots, combat, cadavres, sang, mort, cimetière. Funèbres…mais superbes et prenants instants.

« - Dites-moi, qu’arrive-t-il
Au large de Kerskamp

Qu’arrive-t-il, dites moi
D’entendre le ciel tonner

Tonner sans répit, avec colère
Avec colère rouge sur la mer ?

- Sauf votre respect vous vous trompez
Ce n’est pas le tonnerre

Ce n’est pas le tonnerre
Un combat sur la mer je ne dis pas

Un combat terrible en est la cause
Entre anglais et français !
».
[…/…]

Dans « Toenn-vor », DENEZ aborde, aussi, d’autres thèmes de l’histoire maritime d‘outre-Atlantique, comme dans « Quand nous avons parti de rade », complainte traditionnelle, recueillie en 1955, qui évoque la guerre entre les colons français et anglais au Canada, au 18e siècle.
Le piano, claviers et programmations de Romain DUBOIS, vous emportent dans les abysses d’obsédantes spires et tourbillons salés qui ajoutent à la solennité pesante du moment :

« Le plus cruel c’est la partance
De dire adieu à nos parents
Vous voyez toutes les filles
qui vous étendent les bras
tout cela est inutile,
à la guerre on s’en va.
»

Par une gwerz traditionnelle du Pays Bigouden, titrée « Gwerz Penmarc’h – Le naufrage de Penmarc’h », intervenu suite à une probable erreur de navigation consécutive à une méprise avec des feux allumés dans les églises situées en hauteur sur la côte, DENEZ évoque la destruction, au large de Penmarc’h, de la flottille d’Audierne qui revenait de Bordeaux, chargée de vin, une nuit de novembre, en la première moitié du 14e siècle.
Mais le chanteur n’hésite pas à « contemporanéiser » le sujet en ayant souhaité, qu’en introduction de son mystique chant, on puisse entendre un extrait de la météo marine de France-Inter, diffusée le 1er avril… 1991 !
Au fil de cette pièce, le son… et la « respiration » du bandonéon argentin de Jean-Baptiste HENRY, le duduk arménien de Yeltaz GUENNEAU et l’oud arabe d’Antoine LAHAY, nous insufllent une « vision World » pour ce « chant des sept mers », sous-titre de l’opus.

En matière de tragédie maritime, on pouvait, bien sûr, à juste titre, s’y attendre ; en 7ème titre DENEZ revient sur un événement, ô combien, marquant de sa jeunesse, alors qu’il n’avait que 12 ans : Le 16 mars 1978, c’est la funeste date de l’inoubliable et inoublié naufrage du pétrolier libérien « Amoco Cadiz ».
A la suite d’une avarie de barre et de négociations trop longues avec un remorqueur allemand, après deux tentatives infructueuses de remorquage, le navire s’échoue sur les roches de Portsall, dans le Nord Finistère, chargé de 227 000 tonnes de brut. L’ensemble de la cargaison s’échappe au fur et à mesure que le navire se disloque sur les brisants, polluant 360 kilomètres de littoral entre Brest et Saint Brieuc.
DENEZ assiste, alors, impuissant, à la marée noire qui envahit les côtes bretonnes et dès les premières heures, à la mobilisation immédiate des paysans, dont son oncle fait partie.

Le chanteur revient sur cette majeure catastrophe écologique en interprétant « Al lano du - La marée noire », une gwerz écrite sur un air traditionnel par le prêtre, frère de Ploërmel, instituteur dans l'enseignement catholique, professeur de breton, auteur de plusieurs ouvrages et fondateur du cours de breton par correspondance « Ar Skol dre Lizer », Visant SEITE (1908-1993).
Ce chant a été transmis à DENEZ par la chanteuse, auteure-compositrice, Maryvonne HELLEC qui, dans les années 80, se faisait appeler Mona BODENNEC.

Introduit par l’écoute d’un extrait sonore du journal en langue bretonne « An taol lagad », du 9 janvier 1988, diffusé sur France 3 Bretagne et relatant l’affaire, chanté en breton, en presque trois « mouvements », DENEZ nous livre, ici, grâce aux claviers et programmations d’Étienne CHOUZIER, au violon de Jonathan DOUR et aux cordes de Sergio RABELLO, son adaptation, quasi symphonique !
C’est, aussi, un hommage à ces Bretons qui ont eu le courage d’engager, à Chicago, un procès contre un géant pétrolier, dont, à sa tête, Alphonse ARZEL, grand oncle de la chanteuse et harpiste Nolwenn ARZEL, ancien sénateur du Finistère et ancien maire de Ploudalmézeau qui, en défendant les intérêts des communes du littoral souillées par ce désastreux naufrage considéré, aujourd'hui encore, comme l'une des pires catastrophes écologiques de l'histoire de la navigation maritime, exigera, avec succès, réparation.
Cette pièce est à écouter et réécouter, sur votre chaîne, à ample volume. Portée par une majestueuse orchestration et, avant tout, par l’extraordinaire et convaincante voix de DENEZ, l’horreur devient, si nous osons l’écrire… magnifique !

Ul lanv du wur Vreizh-lzel
‘Zo dirollet 'vel foerigell
Foerigell lous ur vatimant
He c’hof tarzhet 'kreiz an tourrmant.

Ur ruc'hel vras e-kreiz ar mor
A lak da ruilh he dourenn lor
Dislonkañ 'ra or mall bag vras
He c’hofad lous war an dour glas.

Louset mantrus ha penn-da-benn
Gant ar mor du hon aodoù gwenn
N’int mui bremañ nemet lec’hi
Pri lous flaerius d’hon doñjeri.
[…/…]

La marée noire a déferlé
Sur la Basse-Bretagne
La « chiasse » d’un bâtiment en vérité
Le corps brisé par une tempête

Tel un rocher en pleine mer
Le grand navire vomit
Toute sa ventrée
Dans les eaux bleues

Nos grèves blanches
De long en large
Ne sont plus que boue
Puante et nauséeuse.
[…/…]

 Bon !, me direz-vous ? A la lecture de vos lignes, cet album semble bien sombre, ne discourant, essentiellement, certes, enjolivées par de fort belles mais mélancoliques mélodies, que sur une pléiade de tragédies guerrière et de naufrages !
Même si, en piste 14, « préfacé » par la narration des six premiers vers octosyllabiques, sur une musique originale composée par DENEZ, figure « Ur vag à Vontroulez - Le navire de Morlaix », sous forme rigoureuse de gwerz, un texte retranscrit phonétiquement dans un cahier que sa grand-mère lui a transmis et qui est, également, un récit de… naufrage, il y a des instants mélodiques et rythmiques plus légers, parfois même, dansants, qui, néanmoins transcrivent la rudesse intemporelle du monde maritime.

En piste 6, interprété en français, DENEZ entonne « Le capitaine de Saint-Malo », un chant de travail, air à hisser, chanté, a capella, avec le trio BROU, HAMON, QUIMBERT, dans la plus pure tradition du chant de marins. Si la mélodie s’avère bien entraînante, le propos demeure, toutefois, bien âpre et amère :

« Il mange la viande, nous laisse les os  ».
[…/…]
« Ill boit du vin et nous de l‘eau ».
[…/…]
« Il dort dans un lit bien au chaud
Nous sur les planches dans un frigo
».
[…/…] etc… etc !…

Sur une rythmique électro, cette fois, dansant, et bien plus léger dans le propos, en piste 8, vous apprécierez, pleinement, « E Kerlouanha Bordeaux », un rond pagan ou dañs round traditionnel, dansé à l’origine sur le pont des navires, par les marins. Les paroles en breton proviennent de l’Île de Batz, sur les côtes du Léon (Nord Bretagne) et celles en français de l’Île d’Arz, située en pays vannetais (Sud Bretagne).
Pour le premier et entier déroulé du texte, DENEZ chante en breton, et Marion GUEN, Katell KLOAREG, Faustine AUDEBERT, du groupe KAOLILA, formation que nous vous avons présentée, récemment (Voir chronique)  répondent en français.
Après le remarquable pont, particulièrement, rock de la guitare électrique de Stéphane KERIHUEL qui joute opiniâtrement avec l’électro, la reprise des deux premiers couplets se fait en rôles linguistiques inverses.

Toujours dansant, en piste 12, « Les filles à deniers », se présente sous la forme d’une suite de deux chants traditionnels à décompter, nombreux en Bretagne.
Le premier, répondu par le trio BROU, HAMON, QUIMBERT est un chant à ramer ou à « nager », recueilli à Dieppe par Jean RICHEPIN et chanté en français.
Le second, décliné en breton, est un rond pagan des côtes nord-ouest du Léon durant lequel, sur une rythmique électro bien marquée, les trois chanteuses du groupe KAOLILA, susnommées, répondent au chant de DENEZ.
Le côté léger apparent ne fait, toutefois, pas oublier le fond du thème, puisque celui-ci évoque les filles de joie qui faisaient commerce de leur corps dans les ports marchands.

Ne souhaitant pas être trop pléthoriques, encore moins gâcher votre plaisir de découvrir, cet, une fois nouvelle, exceptionnel opus de l’incomparable « Gold Breizh Voice » qu’est DENEZ, à notre regret, mais à raison, nous passerons, sous silence rédactionnel, les thèmes de l’enlèvement sur mer, très répandu en Basse-Bretagne, sur ce disque, décliné dans deux titres chantés en breton et qui se suivent : « Plac’h an dourdu – la fille de l’eau noire » et « Deuit d’am batimant – Venez dans mon navire ».
Pour la première pièce citée, encore de magnifiques instants vocaux et instrumentaux aux colorations World, générées par le jeu du saz turc (luth à manche long, rencontré en Iran, Irak du nord, dans le Caucase, en Crimée, Turquie, Grèce, et dans une partie des Balkans) ou du charango des Andes (instrument de musique à cordes pincées des peuples autochtones des Andes, inspiré des diverses formes de guitares anciennes apportées par les colons espagnols au XVIe siècle, aux mains et talents d’Antoine LAHAY.

A contrecœur, également, nous tairons le socialement triste, inéluctable propos exprimé dans « Les calfats », ponctuée d’ambiances sonores de chantier naval, une complainte traditionnelle originaire de Normandie, probablement de la région du Havre, qui évoque la fin des calfats lorsque les ateliers de constructions navales se sont lancés dans la réalisation de navires en fer, éludant, de facto, tout besoin de garnir d'étoupe goudronnée les interstices d'une coque de bateau en bois pour la rendre étanche.

« Je le jure sur la pigoulière (1)
Que j’avions tant d’turbin dans l’temps
Que j’ai vu ma bordée entière
Tous les jours en cracher le sang
Mais à présent sur ma parole (2)
Adieu maillets et pataras
Avec toutes leurs sacrées casseroles
‘Y a plus de calfats, ‘y a plus de calfats !
»

(1) Gros fer à calfat
(2) Ouvrage de maçonnerie destiné à faire chauffer le brai, le goudron.

Décidément, au travers de tous ces chants, magnifiquement ancrés et portés dans le présent par ce fort contemporain passeur et re-créateur, pour paraphraser la maxime d’or chère aux anges-gardiens de la mer que sont les bénvéoles de la S.N.S.M., il faut bien avouer que, tant par son histoire maritime, ses naufrages, ses métiers, l'eau salée a souvent le goût des larmes, du sang, de la sueur, de l’âpreté, de la servitude.

Parfaitement intégré à ce registre rugueux de la vie maritime, DENEZ conclut « Toenn-vor – Chants des sept mers » par une brillante interprétation, aussi personnelle que bouleversante d’ « Amsterdam ». C’est, comme vous le savez, l’un des titres emblématique du grand Jacques BREL, son chanteur de langue française de toujours et préféré, une chanson écrite, composée et interprétée en 1964 et que l’artiste belge n’a jamais enregistrée en studio, la seule version de cette fresque nordique et portuaire figurant  en ouverture de l'album live « Olympia 1964. » (Réf : Barclay No80243A).
Là, encore avec grand respect de l’original, avec des phrasés qui lui sont propres, DENEZ, projette l’iconique chanson des années 60, dans des sonorités d’aujourd’hui et si le bandonéon argentin de Jean-Baptiste HENRY, assure l’enracinement, les percussions de Kentin JUILLARD et la guitare électrique de Tibo NIOBE font envoler la musique dans le présent.

Bien évidemment, s’agissant de DENEZ, comment pourrait-il en être autrement ? Nous vous conseillons vivement l’achat rapide de cet exceptionnel opus, artistiquement, très réussi et techniquement remarquablement bien produit.

Enregistré, mixé et masterisé par le fidèle et expert « ingéson », Nicolas ROUVIERE, au studio finistérien « Milin an Aod », à Locquirec (29), le disque bénéficie, in fine, d’une belle mise en espace stéréophonique et d’une stratification parfaitement « lisible » de toutes les fort diverses sonorités instrumentales.

Dans les bacs, d’un seul coup d’œil, vous reconnaîtrez très facilement ce nouveau Compact-Disc, puisque sa jaquette aux spécifiques couleurs aux dominantes de jaune et de vert, met en scène DENEZ, sur un quai portuaire et selon l’immatriculation du bateau, SB 174455 (SB : Arrondissement maritime de Saint-Brieuc), devant, au sec, la coque du chalutier « Barbe bleue », rayé des registres maritimes et détruit en 2003). Cette mise en image renforce l’aspect mémoriel de ces pièces qui racontent la mer et ses marins.

Comme tous ceux qui illustrent, en interne et au verso, cet esthétique contenant en triptyque cartonné, ainsi que le livret joint qui, par ailleurs, reprend, tous les textes avec, pour ceux chantés en breton, les traductions qui s’imposent, cet ancien cliché a été, il y a quelques années, réalisé par Pierre TERRASSON, photographe phare du monde rock, punk et new wave des années 80 qui a aussi photographié la scène bretonne, dont Alan STIVELL, Dan AR BRAZ et… Denez PRIGENT, notamment, en ce qui le concerne, pour les jaquettes et/ou clichés de « Me 'zalc'h ennon ur fulenn aour »(1997), « Irvi » (2000), « An enchanting garden - Ul liorzh vurzhudus - Un jardin enchanteur » (2015), « Denez – live – « A-unvan gant ar stered - In unison with the stars » (2016)…

Entrant comme une perle dans l’écrin ARFOLK, « Toenn-vor – Chants des sept mers », est un excellentissime opus griffé de ce passeur- explorateur, avant-gardsite, ré-inventeur qu’est, depuis toujours, DENEZ.
Alliant mémoire maritime et ancrage breton, il nous livre, un substantiel, poignant, très original et poétique album qui, une nouvele fois, projette l’hier dans le demain.

« La mer touche au plus profond de l'homme. Dans la lumière du soleil, n'est-elle pas le miroir de l'âme humaine ? » - Philippe PLISSON - Photographe.

Le chant, ô combien, profond de DENEZ, n’est-il pas, dans sa puissance et sa nuance l’un des plus beaux miroirs de la Bretagne des terres… et de la mer ?

Gérard SIMON

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(1) Actuelle réédition ARFOLK : compilation de Mikaël YAOUANK « Chants de Marins » qui regroupe 22 standards intemporels issus de la tradition ou de son répertoire personnel. (Voir

Illustration sonore de la page : DENEZ - "Toenn-vor - Chants des sept mers" - La Tramontane - 01:03.
Le site officiel de DENEZ : www.denezprigent.com

D'autres extraits sonores sur Culture et celtie l'e-MAGazine (Voir page)

CD de DENEZ- "Toenn-vor - Chants des sept mers".
Parution : 22 août 2025.
Production et distribution : ARFOLK - www.arfolk.bzh
Réf : AR 1221.


Les titres du CD "Toenn-vor - Chants des sept mers".

01 - La Tramontane - 03:37.
02 - Tri ano - Trois noms - 04:28.
03 - Plac'h an Dourdu - La Fille de l'Eau Noire - 06:48.
04 - Deuit d'am batimant - Venez sur mon navire - 04:50.
05 - Quand nous avons parti de rade - 06:25.
06 - Le capitaine de Saint-Malo - 02:14.
07 - Al lano du - La marée noire - 06:20.
08 - E Kerlouan ha Bordeaux - 04:39.
09 - Les calfats - 04:48.
10 - Gwerz Penmarc'h - 06 21.
11 - Les filles de Lorient - 03:12.
12 - Les filles à deniers - 03:41.
13 - Gabier de Terre-Neuve - 05:36.
14 - Ur vag a Vontroulez - 06:02.
15 - Amsterdam - 03:49.

Durée totale : 01:12:50.


© Culture et Celtie