Le billet d’Eric (ICB) "Promotion du breton"" N° 11 de Novembre 2025

Le breton restera-t-il langue de culture mais aussi langue d’usage ?

Les bretonnants ayant eu le breton pour seule langue maternelle avant d’apprendre le français en Cours préparatoire, sont âgés au minimum de 75 ans et le plus souvent déjà octogénaires et leur effectif se réduit donc chaque année.

Mais assez peu d’entre eux parlent breton aux générations suivantes et l’avenir de la langue repose donc sur deux types de population : d’une part, les enfants scolarisés en breton en formule immersive des écoles Diwan ou en formule des écoles dites bilingues, et d’autre part les adultes néo-bretonnants ayant réussi à apprendre correctement le breton.

Mais nombre de ces enfants et adultes pratiquent le breton en langue de culture plutôt qu’en langue d’usage, dont l’emploi se limite à de brefs usages occasionnels. Il importe d’y remédier si l’on veut éviter que les bretonnants s’exprimant oralement aisément deviennent les derniers des Mohicans alors qu’ils sont les hérauts du renouveau d’une pratique sociale significative.

L’enjeu est que le breton reste une langue vivante populaire et non simplement une langue d’érudition certes bien maîtrisée à l’écrit mais restant assez laborieuse à l’oral.

 Parer les obstacles à une pratique orale fluide et spontanée

Fréquence et régularité d’emploi sont les deux atouts essentiels de maintien d’une pratique orale fluide et spontanée, grâce à la faculté de penser directement en breton, donc sans traduire dans sa tête du français en breton. Mais comment mobiliser ces atouts ?

Dans le cas des enfants scolarisés en breton, il semble qu’une minorité seulement bénéficie d’un environnement familial favorable à une pratique orale fluide et naturelle, à savoir qu’au moins l’un des deux parents parle breton en permanence à son enfant tandis que l’autre parent parle français, formule qui ne porte aucun préjudice à l’acquisition équilibrée des deux langues, bien au contraire.

Dans le cas des adultes néo-bretonnants, si leur vie professionnelle n’utilise pas le breton, via l’enseignement, la formation, et la radio-télévision, beaucoup d’entre eux ont du mal à s’entraîner à parler en réservant chaque semaine un temps significatif (au moins une heure, ou même deux, de week-end en week-end si possible) non seulement à l’écoute du breton (mass-media, CD, conférences, théâtre, courts-métrages à défaut des bien rares films) mais aussi à des échanges en breton dans des groupes de conversation pouvant se réunir régulièrement pas trop loin de chez eux.

A noter pour la jeunesse, que les revues mensuelles Rouzig (pour enfants) et Louarnig (pour pré-adolescents) permettent d’écouter les textes en cliquant sur un QR code. Et Rouzig présente les traductions en français en fin de revue. Que demander de mieux ? Nous évoquerons ultérieurement les livres CD, monolingues ou bilingues, qui donnent envie, aux jeunes mais aussi aux adultes, d’entendre et comprendre la langue !

 Comment parvenir à penser en breton ?

En premier lieu, la motivation est essentielle pour que l’apprentissage soit un plaisir surmontant ainsi les difficultés et non une corvée trop vite ressentie comme insurmontable.

 En second lieu, est importante l’écoute des bretonnants aguerris, surtout ceux qui ont la patience de parler pas trop vite et par courtes phrases. Importante également est l’écoute des CD audio dévolus à l’apprentissage ou accompagnant de petits livres simples tels les contes.

 En dernier lieu, il faut oser parler peu ou prou, de manière à devenir progressivement capable d’enchaîner  un nombre croissant de phrases et de s’insérer dans un jeu de questions-réponses constitutif d’un dialogue.

 Cela veut dire que chaque découverte linguistique orale ou écrite (vocabulaire, syntaxe, conjugaison, mutations, accent tonique, rythme de la phrase) doit apparaître non pas comme une contrainte mais comme un bijou d’un trésor langagier dont le plaisir de la découverte facilite l’ancrage dans le cerveau et par là-même le réflexe d’emploi.

 Le réflexe d’emploi s’acquiert rapidement  après le volontarisme initial d’intégrer la spécificité linguistique, grâce à une écoute de celle-ci renouvelée au gré des rencontres, sans se laisser effrayer par le phénomène des mutations consonantiques des langues celtiques.

 Pour les apprivoiser, on peut commencer par la mutation par adoucissement (80 % des mutations). Celle-ci affecte les noms féminins singuliers précédés d’article afin qu’elle devienne automatique dans le parler du bretonnant néophyte, et non plus le résultat d’une réflexion de quelques secondes qui hache l’élocution. Ce néophyte peut se référer à l’exemple évident de ar vammm = la mère, par mutation du mot originel sans article Mamm (Maman) . Il en est de même pour la mutation par adoucissement des les noms de personne masculins pluriels, par exemple ar gemenerien (les tailleurs).

 De même, pour illustrer le fait que les adjectifs épithètes mutent aussi, à la suite des noms auxquels ils se rapportent, dans le cas général hormis le cas particulier des adjectifs à consonne initiale (k, t, p), ce bretonnant néophyte n’a qu’à penser à Mamm-gozh (Grand-Maman) et à  ar vamm-gozh (la grand-mère).

 Une fois ce réflexe acquis, bien consolidé par l’écoute attentive des locuteurs confirmés, le néophyte assimilera que ces adjectifs à consonne initiale (k, t, p) ne mutent que si le nom qui précède se termine par (l, m, n, r, v). Ce critère n’est sans doute pas intégré d’emblée par tout locuteur débutant, mais pour y parvenir rapidement, celui-ci peut se référer à des exemples attrayants comme ar billig tomm (la pillig/galettoire chaude), de quoi lui donner comme une sensation de saveur linguistique tout à fait motivante.

 En définitive, le succès de l’acquisition de l’automatisme du parler est à la portée de l’esprit motivé et organisé comme pour l’acquisition de l’automatisme de la conduite automobile.

 Quels manuels recommander ?

D’excellents cours de breton associés à d’excellentes grammaires, ont été publiés depuis une huitaine de décennies, avec une diffusion limitée par l’absence d’un enseignement obligatoire du breton au moins en Basse-Bretagne, ce qui ne laisse subsister qu’un enseignement facultatif seulement proposé dans un certain nombre d’écoles encore restreint. Mais les militants linguistiques ne se découragent pas et s’efforcent toujours, soit d’éviter une régression, soit d’augmenter l’offre malgré les freins administratifs au recrutement d’enseignants.

 Pour que les apprenants du breton ne se bornent pas à des tentatives trop rapidement abandonnées, nous recommandons les deux tomes de la méthode de breton pour grands débutants "Brezhonegomp ! Parlons breton"" publiés, avec CD audio associés, par Tugdual Kalvez et édités par l’ICB (Institut Culturel de Bretagne, sis à Vannes). Le Tome 1 est proposé aux classes de seconde et cours du soir et le tome 2 aux classes de première et cours du soir.

 Ces deux tomes sont très pédagogiques, commodément et agréablement utilisables, mais attention, ne pas se contenter de les feuilleter distraitement de temps en temps ! Redisons en conclusion que fréquence et régularité seront les deux atouts fondamentaux du succès de la réappropriation du breton comme langue d’usage à l’oral sans se borner à l’écrit !

 Parler aussi bien que lire et écrire le breton ? Oui, au moins un peu, plutôt beaucoup et même passionnément !