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- Chronique -
Yann Le Cun au coeur de la révolution de l'intelligence artificielle
Le chercheur Yann Le Cun est un Breton né à Paris qui a émigré aux États-Unis. Ses relations avec la Bretagne ont toujours été très fortes puisqu'il y a passé tous les étés de son enfance dans la maison de ses grands-parents
Philippe Argouarch pour ABP le 17/11/19 9:11
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Yann LeCun au Festival Interceltique de Lorient en 2016 (photo archives ABP)

Yann Le Cun est un Breton né en région parisienne qui a émigré aux États-Unis. Le patronyme Cun comme dans Le Cunff est dérivé du breton kuñ qui veut dire "débonnaire". D'ailleurs son état-civil véritable est "Le Cun" mais pour faciliter la prononciation de son nom en Amérique il a fini par l'écrire "LeCun".

Ses relations avec la Bretagne ont toujours été très fortes puisqu'il y a passé tous les étés de son enfance dans la maison de ses grands-parents. Il y retourne d'ailleurs souvent se ressourcer.

Son grand-père paternel était de Guingamp, un stomatologue ayant fait ses études à Rennes et à Nantes, et sa grand mère de Rennes, une fille d'officier.

"Mon arrière grand-père parlait breton et mon grand-père qui le comprenait un peu, a pris des cours pour se rafraîchir la mémoire pendant sa retraite", nous explique-t-il. Ses grand-parents ont émigré en région parisienne à la fin des années 1920.

Grâce à un père ingénieur en aéronautique qui lui a transmis le goût des sciences et de la recherche, Yann Le Cun se passionne très tôt pour la science-fiction, la robotique et l'informatique. Après de brillantes études en France, il émigre aux États-Unis où on lui offre de meilleures conditions pour ses recherches et pour l'enseignement, sans parler de situations professionnelles au sein d'entreprises de premier plan. En décembre 2013, il devient directeur de la recherche artificielle pour Facebook.

Même s'il est très critique de la société américaine comme son misérable système de santé, Yann Le Cun ne peut s'empêcher d'expliquer dans son livre l'énorme différence culturelle entre la France et les États-Unis en ce qui concerne le statut des chercheurs et de la recherche en général. Ce n'est pas un hasard si les chercheurs de haut niveau du monde entier se ruent vers les États-Unis et si ce pays collectionne la moitié des Prix Nobel.

Finalement, Yann Le Cun vient de publier un livre aux éditions Odile Jacob qui résume à la fois son parcours et les développements de l'IA. Le livre s'adresse non seulement à ses collègues mais au commun des mortels. Quand la machine apprend sous-titré La révolution des neurones artificiels et de l'apprentissage profond. C'est un ouvrage important qui nous permet à tous, même sans bagage scientifique, de comprendre les enjeux de cette révolution qu'est en train de devenir l'intelligence artificielle. Car l'IA est ce que les Anglo-saxons appellent un GPT, une general purpose technology, une innovation qui va changer fondamentalement la vie économique y compris les moyens de production et la culture qui en découle. Il y a eu d'autres GPT avant, comme l'imprimerie, la vapeur, l'électricité ou l'informatique... Dans tous les cas, aime à préciser Yann Le Cun, la machine a précédé la théorie. L'établissement des principes fondamentaux, des algorithmes, et des langages informatiques a suivi la construction des premiers ordinateurs dans les années 40, comme aussi la thermodynamique avait suivi l'invention du moteur à vapeur, et cela sera la même chose pour l'IA.

L'internet a énormément changé l'éventail des professions, des télécommunications et a produit des milliers de startups. L'IA va aussi détruire de nombreuses professions et en créer des centaines d'autres. Selon Yann Le Cun, les pays qui sortiront du lot sont ceux qui investissent massivement dans l'éducation et la recherche. Yann croit au cycle vertueux : éducation->recherche->technologie->startup->entreprise->emplois->prospérité-->éducation et ainsi de suite, où -> signifie "entraîne la/le".

Les deux contributions essentielles de Yann Le Cun à la construction de l'IA sont le développement du concept de réseau neuronal convolutif et la rétropropagation du gradient dont il est l'inventeur mais qui a été attribuée à d'autres qui l'ont popularisée. Il a consacré aussi des papiers essentiels à la reconnaissance des images avec de nombreuses applications comme le décodage visuel automatique des chèques, utilisé pour la première fois en France par le Crédit Mutuel de Bretagne. Malheureusement on est obligé d'admettre que certains des algorithmes, qu'il a mis au point avec d'autres, ont permis le développement de technologies qui sont utilisées par la Chine pour identifier, ficher et noter toute personne qui sort de sa maison et qui passe sous une caméra. En Russie, la reconnaissance faciale est utilisée pour coller des noms sur tous les visages filmés lors de manifestations d'opposants au régime de Poutine. Ainsi va le monde, mais la science et la technologie sont neutres, ce sont ce que l'on en fait qui compte. Les chercheurs ne peuvent pas être tenus comme responsables des dérives sinon il n'y aurait plus qu'à retourner à l'âge des cavernes.

Yann croit au partage des recherches pour faire avancer la science plus vite mas il n'est pas question pour lui de collaborer avec des régimes non-démocratiques. Le 22 mai 2017 il décline une invitation de l'Université des sciences et technologies du roi Abdallah en Arabie saoudite. En 2014 le ministre de l'Intérieur du royaume avait défini comme terroriste "tout athée remettant en question les fondements de la religion islamique". Se considérant comme avocat de l'athéisme, du rationalisme et de l'humanisme, il a alors déclaré ne pas pouvoir "accepter l’invitation d’un pays qui le voit comme un ennemi".

Comprendre l'intelligence humaine

Appliquer ses connaissances mathématiques au développement de l'apprentissage des machines est une chose où Yann Le Cun excelle, mais moins évidente est sa contribution à la compréhension de l'intelligence humaine car pour mettre au point des algorithmes d'apprentissage, il faut essayer de comprendre le fonctionnement du cerveau de l'homme et des autres mammifères.

Mon programme de recherche pour les décennies qui viennent c'est de me consacrer à découvrir les mécanismes sous-jacents et les principes qui sous-tendent l'intelligence, qu'elle soit naturelle ou artificielle__Yann LeCun

Yann LeCun rend honneur à l'acronyme PhD Philosophiæ doctor abrégé PhD ou Ph. D. qui veut dire littéralement « docteur en philosophie » . Le terme désigne les chercheurs et enseignants du supérieur ayant reçu un doctorat dans les pays anglo-saxons. Ce terme qui vient d'Allemagne conserve très bien la dimension philosophique de toute recherche scientifique fondamentale. L'intelligence artificielle fera évoluer la philosophie.

Le développement de méthodes d'apprentissage : automatiques, supervisées, convolutives ou profondes, a conduit Yann Le Cun à s'intéresser aux méthodes utilisées pour l'éducation des enfants. "On peut concevoir un système de valeur pour les machines qui vont piloter leur comportement... Les humains enseignent des valeurs à leurs enfants et les gouvernements via des lois agissant pour changer le système de valeur des gens depuis des milliers d’années, il n'y a aucune raison que l’on ne puisse pas le faire pour les machines" a-t-il déclaré lors d'une émission radio au sujet de son livre. La seule chose que les machines ne peuvent pas acquérir c'est le bon sens. Nous sommes encore très loin de machines capables de bon sens avoue Yann Le Cun alors que les enfants l'acquièrent relativement rapidement.

L'essence de l'intelligence est la capacité de prédire le futur__Yann Le Cun

Yann a répondu à nos questions sur ses origines bretonnes

[ABP] C'est vrai que vous êtes un joueur de bombarde ?

[YLC] J'ai commencé à jouer de la bombarde dans les festoù-noz aux alentours de 1974, principalement avec mon oncle, joueur de biniou coz et biniou braz. J'ai beaucoup appris aussi au contact de Bretons venus de Brest et membres du cercle breton de la région de Pontoise. Je passais (et passe toujours) mes vacances dans la maison familiale de Lancieux et pendant l'été je participais souvent au bagad de Saint-Malo. Mon cousin Gilles y est toujours très actif.

[ABP] La musique est importante pour vous ?

[YLC] J'ai fait partie d'un groupe de musique ancienne, principalement de musique renaissance et baroque. Jouer dans les festoù noz m'a été très utile pour comprendre comment jouer les danses de l'époque. Les bransles de la renaissance sont très similaires aux an dro et hanter dro. Nous avons pu créer un groupe de danses Renaissance qui se produisait dans des spectacles. Je jouais des instruments à vent divers : flûte à bec, cromorne, etc."

[ABP] Vous avez aussi des origines auvergnates comme Alan Stivell et Nolwenn Leroy ?

[YLC] Ma mère était fille d'un Auvergnat (marchand de vin, bien sûr) et d'une Alsacienne, née en 1900 dans l'Alsace encore allemande. Elle a débarqué toute seule à Paris en 1918, ne parlant pratiquement pas le français. Il y a une photo de leur mariage dans le livre.

[ABP] Merci.

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Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.
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Vos 1 commentaires :
Naon-e-dad Le Lundi 18 novembre 2019 16:36
« L'établissement des principes fondamentaux, des algorithmes, et des langages informatiques a suivi la construction des premiers ordinateurs dans les années 40 ».
Cette remarque est très opportune. Tellement évident que je ne me souviens pas de l’avoir entendu énoncer ainsi jusqu’à présent. Pourtant qui ont pris le train en marche du développement à grande échelle de l’informatique en entreprise (dans les années 70’s) l’ont bien constaté.
La programmation dite « structurée » (autrement dit l’algorithmique séquentielle) est arrivée une bonne quinzaine d’années après la mise-au-point du Cobol par exemple – certains des défauts de ce langage réputé « verbeux » proviennent justement de cette « croyance », déjà (à la fin des 50’s) en une « intelligence » artificielle - , l’organisation de la programmation-objet est arrivée bien après l’arrivée des langages à objets (je me souviens avoir entendu l’appel angoissé - non je n’exagère pas ! - d’un directeur informatique devant un public spécialisé, à ce propos). Idem pour les sites internet, me semble-t-il. Etc…
Pour l’avenir, je pense que les techniques d’IA (Intelligence Artificielle) permettront de mieux cerner ce que l’intelligence humaine a d’irréductible. Autrement dit de délimiter – à défaut de comprendre – ce que l’intelligence a de véritablement original, cette part tout à fait unique qui ne peut être modélisée.
Exemple concret : dans un cours d’analyse informatique, des élèves (adultes) soulevèrent cette remarque : « vous nous enseignez un langage de modélisation analytique, mais vous ne nous dites pas comment analyser ». Ces informaticiens, parfois très confirmés, venaient de pointer LA question sensible : celle de l’intelligence. Leur question ne reçut pas de réponse.
Reste à lire Yann Le Cun pour voir plus précisément ce qu’il dit de lui et de ses pairs, sur cette question sans cesse débattue, à la réponse sans cesse repoussée (indépendamment de résultats obtenus). L’homme sait (et fait), la machine fait (seulement). Il y a plus qu’une nuance.
Setu, tudoù, ma’z eo lemm ho spered dija e kendalc’ho ar bed o treiñ mod-se! Ar vekanikoù diouzh un tu, an dud diouzh un tu all.
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