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- Chronique -
Le nationalisme breton : donner du sens
Le Front National, premier parti en France. Siryza au pouvoir en Grèce. Des nouveaux partis en Espagne et en Italie. Les Européens sont attirés par les mouvements "anti-système". Et les
Jean-Pierre Le Mat Par JPLM le 4/01/16 17:36

Le Front National, premier parti en France. Siryza au pouvoir en Grèce. Des nouveaux partis en Espagne et en Italie. Les Européens sont attirés par les mouvements "anti-système". Et les minorités, nationales ou religieuses ? Elles étaient jusqu'à présent "sous-système", refoulées dans la sphère privée. Elles explosent désormais dans la sphère publique.

Gauche et droite traditionnelles, que les anti-systèmes d’autrefois appelaient les "partis bourgeois", s'appliquent à discréditer les nouveaux venus, en collusion avec les grands médias. La peur de l'inconnu sera-t-elle suffisante pour sauver l’ordre établi ?

Cet ordre s’est mis en place il y a environ 500 ans. A partir de la Renaissance, alors que tout ce qui était important était sacré, donc intouchable, les "modernes" ont cherché des explications. La question n’était plus "qu’est-ce que cela veut dire ?" mais "comment ça marche ?". L’alternative aux croyances officielles n’était déjà plus le protestantisme, mais la démarche rationnelle. La science a conquis progressivement tous les territoires : celui de l’astronomie avec Galilée, de la biologie avec Darwin, de la psychologie avec Freud. Le Breton Ernest Renan s’est penché sur la vie de Jésus. Il a plongé le fer de l’explication dans le sanctuaire de la religion.

Le pic de la tension entre soif d’explications et soif de significations a aussi été son dénouement. C’est le combat et la chute des deux totalitarismes du XXème siècle, semblables dans leurs dévastations, mais opposés dans leur moteur.

Avec le nazisme, tout redevient significatif, symbolique de quelque chose. C’est un retour au Moyen-Âge, avec la différence que l’État prend la place de Dieu au centre du sacré. En Allemagne, les Lumières s’éteignent. Plus à l’Est, le communisme stalinien se veut le phare du monde. Il donne, non pas des significations, mais des explications sur tout. L’histoire s’explique par la science marxiste. Lyssenko explique la génétique végétale et rejette les travaux de Mendel comme réactionnaires. Kondratieff, dont les observations sur les cycles économiques ne correspondent pas aux explications préétablies, meurt en déportation. Contrairement aux purges nazies qui ne donnent pas la parole aux victimes, les procès staliniens exigent des accusés qu’ils contribuent à l’explication.

La victoire des deux alliés, libéralisme et communisme, a été la victoire des héritiers des Lumières. Les nazis avaient reconstruit un monde arbitraire et violent, saturé de symboles. Face à eux se sont coalisés les tenants de la modernité. Mais cette modernité était déjà déclinante. Le capitalisme avait fait dévier l’idéal libéral vers la raison d’argent. Le stalinisme avait fait dévier l’idéal communiste vers la raison d’État.

Les nazis ne cherchaient pas à expliquer ou à justifier leur brutalité. Dans l’univers de l’explication, le vainqueur traite le vaincu de manière moins brutale. Mais la simple neutralisation ne suffit plus. Il faut trouver des raisons. Il faut comprendre et juger.

La défaite a toujours été terrible. Dans un monde d’explications, elle est devenue humiliante et par là même intolérable. A la défaite se superpose la damnation par le jugement. Pour y échapper, le vaincu refuse la raison du plus fort. Le rapport du fort au faible se transforme en un rapport du fort au fou.

La raison du plus fort est en péril quand c’est non seulement la force qui est contestée, mais aussi la raison. La raison d’État et la raison d’argent sont confrontées à ce défi.

Dans le combat dissymétrique, comment le faible devient-il le fou ? Ceux qui ne croient pas suffisamment en eux-mêmes s’en sortent par la dérision, l’extravagance, l’alcoolisme ou le suicide. Les autres, les plus énergiques, disposent de trois moyens : la violence, la création et la démocratie primale.

Quelques nationalistes bretons ont suivi le chemin de la violence. Pendant le dernier tiers du XXème siècle, le FLB, Front de Libération de la Bretagne, a fait exploser des bombes. Les clandestins ont semé l’inquiétude. D’autres, de par le monde, suivent cette voie en laissant des traces bien plus sanglantes. La violence, selon le lieu, le temps ou les circonstances, peut se révéler d’une étonnante efficacité ou d’une inutilité tragique.

La création s’est manifestée en Bretagne dans tous les domaines, celui des arts comme celui de l’entreprise. L’après-guerre a vu une renaissance culturelle et économique remarquable. Un capital breton s’est accumulé pour la première fois depuis le XVIIIème siècle. Ceux qui ont connu l’après-guerre savent que la rage de créer était liée à la frustration du vaincu, du plouc. Elle s’apparentait à une revanche. Interrogez les créateurs. Au départ, toujours, quelque chose les a enragés. La démarche rationnelle ne vient qu’après.

La démocratie primale est celle qui s’affranchit des intérêts d’argent ou d’État. Au XVIIIe siècle, la raison était une arme contre l’arbitraire. Au XXe siècle, Max Weber n’a plus cet enthousiasme. Il montre que la rationalisation sans limite fait évoluer les organisations humaines vers la bureaucratie.

En Bretagne, que ce soit à Plogoff dans les années 70 ou plus récemment avec le mouvement des Bonnets rouges, les experts ont été contestés. Aux arguments rationnels s’est opposée la vision d’un avenir : une Bretagne sans nucléaire et sans péage. Aux arguments rationnels s’opposent aussi des symboles : le lance-pierre à Plogoff, le bonnet rouge contre l’écotaxe. Dans ces deux cas, la vision et les symboles ont été suffisamment puissants. Raison d’argent et raison d’État ont cédé devant la volonté populaire.

Nous en sommes arrivés à une situation à la fois analogue et inverse de celle des hommes de la Renaissance et des Lumières. Ils devaient se frayer un chemin dans un labyrinthe de significations arbitraires, apportées par la religion, la monarchie absolue, les traditions aristocratiques. Aujourd'hui, nous devons nous frayer un chemin dans un labyrinthe d’explications complexes, de plus en plus inaccessibles. La tyrannie de l’explication exclut l’homme ordinaire. Plutôt que d’avancer de nouvelles explications, il nous faut casser le miroir à notre tour. Cette fois, c’est le miroir des Lumières, devenu en vieillissant celui de la logique bureaucratique.

Le nationalisme breton est une aventure qui succède à la raison d’argent et à la raison d’État. Les langues, les frontières historiques, la volonté de "Vivre, décider et travailler en Bretagne" ont une signification. Elles veulent dire quelque chose. Elles inspirent et interpellent. Elles donnent un sens à l'existence individuelle et à l'existence collective.

Sans doute faut-il toujours se plier à l’exercice de l’explication. Sans doute y a t-il dans toute libération nationale une raison économique et une raison politique ; une raison d’argent et une raison d’État. Mais, quand même, ne donnons pas trop d’importance aux experts et aux raisonneurs compulsifs. Les temps changent. Apporter du sens peut avoir autant d’importance que d’apporter des explications.

Jean Pierre LE MAT

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Cet article a fait l'objet de 1179 lectures.
Vos 3 commentaires :
Simon Alain Le Mardi 5 janvier 2016 11:10
Un article incontournable.
Et qui souligne combien
nous sommes à un tournant.
Merci Jean Pierre.
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Pôtr ar skluj Le Mardi 5 janvier 2016 21:32
"Lyssenko explique la génétique végétale et rejette les travaux de Mendel comme réactionnaires"
Me gav din-me lar vevom en un tamm diktatur gomunist ar mod-se. Med seulamant, an dud ne vênt ket kaset d'ar prijon kén. Laket vez an diskred warnê, heb-kén. Goûd a rit ar péz 'zo digouêt gand Michel Onfray. Unan ruz-tan eo-eñv koulskoude, ha bremañ vez laret partoud lar eo-eñv ur chouant. Toud an dra-mañ 'oa krog ober trouz a-benn ma 'n-oa-eñv skrivet e levr diwar-benn Freud. Ha oa laret lar 'n-oa skrivet anezañ ablame ma kase-eñv ar yuzeved. Med ne oa ket gwir, pezegur ar sikanalis n'eo ket eun ide yuzeo. Ba'r hultur yuzeo 'zo eur resped deuz mab-den ha 'zo kreñv-tre ha n'egzist ket anezañ ba'r sikanaliz, en-mod-ebéd ! Ar sikanalis 'zo un tamm relijion boch kentoh. Kozimant evel ar reform pe an nietzscheizm. Lakad an dud da voud 'med loened a-nez librentez kwa. Bremañ, ma peus hoant, ne glasker ket goûd ma peus rêzon kén. Klask a reer goûd hag-eñv oh eur republikan evel 'zo dleet pe ur chouant.
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Mickaël COHUET Le Samedi 9 janvier 2016 21:47
La photo qui illustre l’article est à lui seul le résumé de toute l’incapacité du nationalisme breton à émerger politiquement.
Nous sommes un peuple. Insuffisant.
Nous sommes un peuple distinct de celui de la « France ». On progresse.
Nous sommes un peuple, certes, mais nous sommes beaucoup plus que cela, nous sommes UNE NATION ! Excellent.
Cette incapacité à nommer par le Breton lambda, ce dont il fait partie et ce qu’est vraiment la Bretagne est certainement le fruit d’un tabou. Tant qu’il ne tombera pas et que cette conscience ne sera pas présente de façon transversale dans la société bretonne, il n’y a rien à espérer.
Tant que nous ne serons pas capables d’affirmer que nous sommes une nation, le plus naturellement du monde dans une conversation avec des membres de sa famille, des amis, des collègues, des inconnus dans la rue ou sur internet, la Bretagne pourra continuer de crever.
C’est aussi concret et pragmatique que cela.
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