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- Chronique -
Un point de vue breton sur les mouvements sociaux
Pour la manufacture, le régime corporatif ; pour l'agriculture, le régime patriarcal (Karl Marx). Karl Marx n’est pas politiquement correct. J’ai relu dernièrement le Manifeste du Parti Communiste, de Karl Marx. Curieuse idée,
Par Jean-Pierre Le Mat pour JPLM le 28/06/16 18:14

"Pour la manufacture, le régime corporatif ; pour l'agriculture, le régime patriarcal" (Karl Marx)

Karl Marx n’est pas politiquement correct

J’ai relu dernièrement le Manifeste du Parti Communiste, de Karl Marx. Curieuse idée, me direz-vous. Ce livre n’est plus à l’ordre du jour. Comprenez-moi... Quand l’avenir est incertain et que l’été arrive, se replonger dans les textes fondamentaux a un côté rafraîchissant.

Dans le Manifeste, Karl Marx revient souvent sur la Révolution française, qu’il considère comme le prototype de la révolution bourgeoise. Il écrit par ailleurs tout un paragraphe sur la France, qu’il définit comme le pays du socialisme petit-bourgeois. Qu’est-ce à dire ? Je lui laisse la parole :

"Dans les pays comme la France (…), il est naturel que des écrivains qui prenaient fait et cause pour le prolétariat contre la bourgeoisie aient appliqué à leur critique du régime bourgeois des critères petits-bourgeois et paysans et qu'ils aient pris parti pour les ouvriers du point de vue de la petite bourgeoisie. Ainsi se forma le socialisme petit-bourgeois".

Sa conclusion est saisissante, car elle résume l’idéal de la gauche française deux siècles après : "Pour la manufacture, le régime corporatif ; pour l'agriculture, le régime patriarcal : voilà son dernier mot."

Bravo le barbu ! Les mouvements sociaux de 2016 visent en effet à la conservation du corporatisme dans le code du travail. La primauté des accords de branche, pivots du corporatisme, fait descendre dans la rue les obligés de la CGT, de FO et de la "gauche de la gauche". La démocratie locale, représentée par les accords d’entreprise, est dénoncée comme le grand danger.

Jean-Luc Mélenchon, dans son Livre "Le Hareng de Bismarck" avait déjà été sans ambiguïté sur le sujet : "[Le principe de subsidiarité] postule que toute action publique doit être confiée à la plus petite entité capable de résoudre le problème elle-même. Voilà qui est très sympathique à première vue. Ça sent bon l’autogestion. On croirait l’idée conçue pour définir la place d’une assemblée citoyenne locale. Lourde erreur. L’idée conduit surtout à limiter toute concentration de pouvoir par une quelconque puissance publique". (p. 149). Pour Mélenchon et ses amis, la concentration de pouvoir (à Paris, bien sûr) prime sur la démocratie. Il faut concentrer le pouvoir en France. Les leçons de démocratie, c’est à usage externe !

A côté de ce corporatisme chevillé au corps de la France dite "sociale", les bobos sont le fer de lance de ce que Marx appelle "pour l’agriculture, le régime patriarcal". C’est le rêve de la petite exploitation familiale comme autrefois, le grand bond en arrière. L’image du bouseux et de sa petite famille doit rester intacte dans l’imaginaire du citadin. Il faut ne jamais avoir saisi le regard désespéré et indigné du paysan breton d’il y a 50 ans, devant les exigences du courtier qui lui achetait sa récolte à vil prix, du propriétaire qui fixait la location jusqu'à la Saint-Michel, ou du citadin qui le considérait comme un ignare. Sa révolution, dans les années 60, avec pour pivot le mutualisme, a toujours été considérée comme illégitime par la bien-pensance française.

"Pour la manufacture, le régime corporatif ; pour l'agriculture, le régime patriarcal". Le socialisme petit-bourgeois, que Marx avait vu comme une tradition française, est de retour.

La fin de la dialectique

Karl Marx, encore lui, a passé toute sa vie à analyser la dialectique entre le travail et le capital. Le travail crée la richesse. Le capital, sous la forme d’outils de production, permet le travail productif. Aujourd'hui, ce type d’analyse sociale a disparu du "mouvement social". Il suffit de grimacer en disant "Medef !" pour se voir décerner une identité de gauche. Il suffit de se pincer le nez en disant "FNSEA !" pour être admis comme un écologiste pratiquant. On ne se préoccupe plus des mécanismes sociaux, mais seulement de l'étiquette des acteurs.

A la critique sociale se substitue un raisonnement binaire. D'un côté les bons, de l’autre les méchants. Il y a 500 ans, alors que la Renaissance et l’invention de l’imprimerie plongeaient l’Europe dans une révolution culturelle, la chasse aux sorcières faisait régresser la religion. Aujourd'hui, alors que la révolution numérique bouleverse le monde, la dénonciation des complots remet au goût du jour les condamnations de groupes sociaux. La critique régresse vers la caricature.

Le fantasme de 1936

Le Code du Travail français n’a pas grand-chose à voir avec les avancées sociales de 1936. Il prend pour base les accords d’après-guerre entre gaullistes et communistes, qui accordent des avantages aux entreprises et aux salariés qui travaillent dans les secteurs stratégiques pour l’État central : l’énergie, les transports, les services publics. Ce code est fondamentalement inégalitaire et corporatiste ; c’est la raison pour lequel il est si épais et si complexe. S’il était vraiment égalitaire, il serait plus simple.

La nouvelle lutte des classes

Les mouvements sociaux français actuels portent une nouvelle lutte des classes. L’ancienne concernait le prolétariat industriel et rural, face au patronat industriel et rural. Aujourd'hui la classe revendicative n’a plus rien à voir avec l’économie réelle. Six syndicalistes sur dix sont du secteur public. Six syndicalistes sur dix sont des cadres et des agents de maîtrise, pas des ouvriers (Chiffres DARES 2013). La classe qui veut exercer la dictature n’est plus le prolétariat, mais la petite bourgeoisie intellectuelle. Elle se sent menacée par toutes les autres classes. Elle considère les employeurs comme des salauds, les paysans comme des pollueurs, les artisans comme des poujadistes et les ouvriers comme des "esclaves qui manifestent pour les droits de leurs maîtres" (dixit Mélenchon). Cette nouvelle lutte des classes ne tend pas vers la justice sociale.

Un point de vue breton

L’épisode marxiste est manifestement terminé en France, même s’il suscite encore des nostalgies et des fantasmes. Le socialisme révolutionnaire régresse vers le sans-culottisme. Les mouvements sociaux portent la marque du radicalisme citoyen de Robespierre, avec drapeau tricolore, Marianne aux seins nus, Marseillaise, discours de haine et dénonciation des "classes dangereuses".

Or comme disais le vieux barbu, quand l’histoire se répète, la première fois c’est une tragédie, la deuxième fois une farce. La comédie s’annonce. Robespierre était le bourreau, Mélenchon est le bouffon. Les institutions françaises se sont imposées partout dans l’Hexagone à partir de 1793, à l’ombre de la Terreur jacobine. Bien différent est le nouveau sans-culottisme. Il n’impose aucune institution, mais favorise le non-droit. Ce non-droit donne naissance à une nouvelle façon de vivre et, pour ceux qui travaillent, de produire de la richesse.

Nous autres Bretons avons eu le mauvais rôle dans la tragédie de 1793. Nous avons été les contre-révolutionnaires, les chouans, les damnés. Dans la comédie qui vient, nous devons nous préparer à être, sur fond d’effondrement mou, ceux qui refusent de jouer le rôle fixé par le pouvoir central. Et alors, advienne que pourra.

Jean Pierre Le Mat